Jean-Paul II de A à Z

Evangelium Vitae - 1988

 

1988

 

14 mars 1988 - Congrès international sur la famille d'Afrique et d'Europe, tenu à Rome, à l'occasion des 20 ans d'Humanae Vitae
     C'est avec une grande joie que je vous accueille pour cette audience spéciale que j'ai volontiers réservée à votre représentation qualifiée, à l'occasion du Congrès international convoqué pour rappeler le 20e anniversaire de l'Encyclique Humanae vitae. En vous adressant mon cordial salut, avec une pensée particulière pour le professeur Bausola que je remercie de son allocution, je désire exprimer ma vive satisfaction aux responsables du « Centre d'études et de recherches sur la régulation naturelle de la fertilité » de l'Université catholique du Sacré-Cœur qui ont pris cette initiative, qui se renouvellera dans quelques jours à Bologne.
     La continuité sans interruption avec laquelle l'Église l'a proposé naît de sa responsabilité envers le vrai bien de la personne humaine. De la personne humaine des conjoints, en tout premier lieu. En effet, l'amour conjugal est leur bien le plus précieux. La communion interpersonnelle qui s'établit entre deux baptisés en vertu de cet amour est le symbole réel de l'amour du Christ pour son Église. La doctrine exposée dans l'Encyclique Humanae vitae constitue donc la nécessaire défense de la dignité et de la vérité de l'amour conjugal.
Comme envers toute valeur éthique, l'homme a une grave responsabilité à l'égard de l'amour conjugal. Les conjoints sont les premiers responsables de leur amour conjugal, en ce sens qu'ils sont appelés à le vivre dans sa vérité entière.
     L'Église les aide dans cette tâche en éclairant leur conscience et en leur assurant, par les sacrements, la force qui est nécessaire à la volonté pour qu'elle choisisse le bien et évite le mal.
      Je ne peux cependant passer sous silence le fait que beaucoup aujourd'hui n'aident pas les conjoints en cette grave responsabilité qui est la leur, mais au contraire leur créent des obstacles notables.
     A cet égard, tout homme qui a perçu la beauté et la dignité de l'amour conjugal ne peut demeurer indifférent devant des  tentatives qui se font jour pour assimiler, à tous les effets, le lien conjugal et la simple cohabitation de fait. C'est là une égalisation injuste, destructrice d'une des valeurs fondamen¬tales de toute convivialité civile - l'estime du mariage - et peu éducative pour les jeunes générations, tentées ainsi d'avoir une conception et de faire une expérience de liberté qui se révèlent déformées à leur racine même.
     De plus, les conjoints peuvent rencontrer de sérieux obsta¬cles dans leurs efforts pour vivre correctement l'amour conjugal à cause d'une certaine mentalité hédoniste cou¬rante, des moyens de communication sociale, des idéologies et des pratiques contraires à l'Évangile. Mais cela peut aussi arriver, et avec des conséquences réellement graves et désagrégatrices, quand la doctrine enseignée par l'Encycli¬que est mise en discussion, comme cela est arrivé, même de la part de certains théologiens et pasteurs d'âmes. Cette attitude, en fait, peut insinuer le doute sur un enseignement qui, pour l'Église, est certain, obscurcissant ainsi la percep¬tion d'une vérité qui ne peut être discutée. Ce n'est pas là un signe de « compréhension pastorale » mais d'incompréhension du vrai bien des personnes. La vérité ne peut être mesurée d'après l'opinion de la majorité.
     La préoccupation, que vous avez eue dans votre Congrès, d'insérer la réflexion de caractère plus spécifiquement tech¬nique et scientifique sur le contrôle naturel de la fertilité dans le contexte de larges réflexions théologiques, philoso¬phiques et éthiques, doit être soulignée et louée. Une autre manière d'affaiblir chez les conjoints leur sentiment qu'ils sont responsables de leur amour conjugal est, en effet, de diffuser l'information sur les méthodes naturelles sans qu'elle s'accompagne de la nécessaire formation des conscien¬ces. La technique ne résout pas les problèmes éthiques, tout simplement parce qu'elle n'est pas en mesure de rendre meilleure la personne. L'éducation à la chasteté est un moment que rien ne peut remplacer. S'aimer comme des conjoints, cela n'est possible qu'à l'homme et à la femme qui sont arrivés à une véritable harmonie au plus profond de leur personnalité.

      Vingt ans après la publication de l'Encyclique, on peut voir clairement que la norme morale qu'elle enseigne n'est pas seulement une défense de la bonté et de la dignité de l'amour conjugal, et donc du bien de la personne des conjoints. Elle a une portée éthique encore plus vaste. En effet, la logique profonde de l'acte contraceptif, sa racine ultime, que Paul VI avait déjà identifiées de manière prophétique, sont maintenant manifestes. Quelle logique ? Quelle racine ?
     La logique anti-vie : au cours des ces vingt dernières années, dé nombreux États ont renoncé à leur dignité d'être les défenseurs de la vie humaine innocente, par des législations favorables à l'avortement. Un véritable massacre d'inno¬cents s'accomplit chaque jour dans le monde.
     Quelle racine ? C'est la rébellion contre Dieu créateur, unique Seigneur de la vie et de la mort des personnes humaines ; c'est la non-reconnaissance de Dieu comme Dieu ; c'est la tentative, intrinsèquement absurde, de cons¬truire un monde où Dieu soit totalement étranger.
     Dans l'Encyclique Humanae vitae, Paul VI exprimait sa certitude de contribuer, en défendant la morale conjugale, à l'instauration d'une civilisation véritablement humaine (cf. n. 18). Vingt ans après la publication de ce document, les confirmations du bien-fondé de cette conviction  font vraiment pas défaut. Et ce sont des confirmations que peuvent vérifier non seulement les croyants mais aussi tout homme soucieux du destin de l'humanité : chacun peut voir à quelles conséquences on en est arrivé en n'obéissant pas à la sainte loi de Dieu. Votre engagement - comme celui de tant d'autres person¬nes de bonne volonté - est un signe d'espérance non seulement pour l'Église mais pour toute l'humanité. En invitant cordialement chacun d'entre vous à persévérer avec générosité sur la route commencée, je vous accorde à tous ma bénédiction, en gage de l'aide céleste.

 

 

 

 

 

8 octobre 1988 - Au Conseil de l'Europe (extrait)

     La famille est sans doute la réalité où l’interaction de la responsabilité personnelle avec les conditions sociales apparaît le plus. L’évolution récente de la société européenne a rendu plus difficile l’équilibre et la stabilité des familles. En ce sens jouent des facteurs d’ordre économique en rapport avec le travail – notamment celui de la femme –, le logement, les déplacements des personnes, les migrations volontaires et les exils forcés. D’autre part, on voit se répandre des conceptions qui dévalorisent l’amour, isolent la sexualité de la communion de vie qu’elle exprime, affaiblissent les liens stables auxquels un amour vraiment humain engage. Il y a là un réel danger, car la famille se déstabilise et se désagrège. Les courbes démographiques descendantes sont un signe d’une crise de la famille qui suscite l’inquiétude.

     Dans cette situation, il faut que les Européens se ressaisissent et redonnent à la famille sa valeur d’élément premier dans la vie sociale. Qu’ils sachent créer les conditions qui favorisent sa stabilité, qui permettent d’y accueillir et d’y donner la vie généreusement! Que l’on reprenne conscience de la dignité des responsabilités exercées par chaque être humain dans son foyer pour le soutien et le bonheur d’autrui! La famille comme telle est un sujet de droits, cela doit être admis plus nettement.

     Je ne puis ici qu’évoquer brièvement ces préoccupations. Vous savez combien l’Eglise catholique y attache d’importance, au point d’avoir proposé une «Charte des Droits de La Famille». Tout ce qui concerne la famille est un souci que les communautés chrétiennes approfondissent à la lumière de leur foi, mais qu’elles partagent avec toute personne qui a le souci de la dignité humaine.

     7. L’un des aspects les plus impressionnants du développement scientifique concerne les disciplines biologiques et médicales. Souvent, dans vos instances, vous avez à connaître des interrogations que suscitent les possibilités nouvelles d’intervenir aux divers stades de la vie, en dépassant les limites des thérapeutiques habituellement pratiquées. Les processus génétiquespeuvent être favorisés, mais aussi altérés. Des processus biogénétiques en viennent à briser la filiation naturelle. Le diagnostic d’une pathologie prénatale conduit trop facilement à l’avortement, alors que son but légitime est d’ordre thérapeutique.

     L’expérimentation pratiquée sur des embryons humains ouvre la voie à des manipulations abusives. Il arrive aussi que de graves interventions soient acceptées du seul fait que les progrès scientifiques les rendent réalisables.

     Votre Assemblée est fréquemment amenée à réfléchir à ces questions qui sont de nature fondamentalement éthique. Il est nécessaire que le respect de la dignité humaine ne soit jamais perdu de vue, depuis le moment même de la conception, jusqu’aux stades ultimes de la maladie ou aux états les plus graves d’obscurcissement des facultés mentales. Vous comprendrez que je redise ici la conviction de l’Eglise: l’être humain garde à jamais sa valeur comme personne, car la vie est un don de Dieu. Les plus faibles ont le droit à la protection, aux soins, à l’affection, de la part de leurs proches et de la part de la société solidaire. L’insistance de l’Eglise pour sauvegarder toute vie dès la conception ne s’inspire de rien d’autre que d’une exigence éthique qui résulte de ce qu’est l’homme même et qui ne saurait être étrangère à aucune conscience libre et éclairée. L’Eglise connaît la gravité des dilemmes qui se présentent à de nombreux couples ainsi qu’aux médecins ou aux divers conseillers de santé; elle n’ignore pas leur souffrance et leurs doutes; elle voudrait demander cependant que l’on n’en vienne pas à déformer les consciences et que la fraternité authentiquement humaine ne fasse jamais défaut. Elle accueille favorablement les progrès accomplis pour protéger la vie de l’enfant à naître, pour préserver l’intégrité de son patrimoine génétique naturel, pour développer des thérapies efficaces.

     En plaçant des bornes d’ordre éthique à l’action de l’homme sur l’homme, votre Institution accomplira son rôle de conscience critique au service de la communauté.

 

 

 

 

7 novembre 1988 - A l'Initiative du Conseil pontifical pour la famille, un colloque a réuni à Rome, les 7 et 8 novembre 1988, une soixantaine d'évêques présidents des Commissions épiscopales pour la famille.

     1. Avec une très grande joie, je vous adresse mon salut affectueux, à vous tous, frères dans l'épiscopat, ainsi qu'aux si nombreux frères que vous représentez.

     J'ajoute à ce salut ma reconnaissance pour votre disponibi­lité à consacrer une partie de votre temps et toute votre charité pastorale à réfléchir sur un sujet d'une importance toute particulière pour la vie et la mission de l'Église. Je dois en outre adresser un merci spécial au Conseil pontifical pour la famille, qui a organisé cette rencontre et y participe.

L'Église, signe de contradiction

    2.  Le motif de cette rencontre est le vingtième anniversaire de l'encyclique Humanae vitae que Paul VI publia, le 25 juillet 1968, sur le grave problème de la juste régulation des naissances. Dans l'allocution du mercredi qui suivit la publication de l'encyclique, le même Paul VI confia aux fidèles les sentiments qui l'avaient guidé dans l'accomplissement de son mandat apostolique. Il disait : « Ce fut d'abord la conscience de notre très grave responsabilité. Elle nous a fait entrer et demeurer au cœur de la question durant les quatre années consacrées à l'étude et à l'élaboration de cette encyclique. Nous vous confierons que ce sentiment nous a fait beaucoup souffrir spirituellement. Jamais nous n'avons senti comme en cette circonstance le poids de notre charge. Nous avons étudié, lu, discuté autant que nous avons pu, et nous avons aussi beaucoup prié... Invoquant les lumières de l'Esprit-Saint, nous avons mis notre conscience dans la pleine et libre disposition à la voix de la vérité, cherchant à interpréter la règle divine que nous voyons surgir de l'exigence intrinsèque de l'amour humain authentique, des structures essentielles de l'institution du mariage, de la dignité personnelle des époux, de leur mission au service de la vie, comme aussi de la sainteté du mariage chrétien. Nous avons réfléchi sur les éléments stables de la doctrine traditionnelle de l'Église, spécialement sur les enseignements du récent Concile. Nous avons pesé les conséquences de l'une et de l'autre décision, et nous n'avons plus eu de doute sur notre devoir de Nous prononcer dans les termesexpriméspar la présente encyclique. » (Cf. Insegnamenti di Raolo VI, vol. VI, 1968, p. 870-871.) (1)

     Tout le monde connaît les réactions, parfois âpres et même méprisantes, qui, jusque dans certains milieux de la commu­nauté ecclésiale elle-même, ont accueilli la publication de l'encyclique Humanae vitae. Mon vénéré prédécesseur les avait clairement prévues. Il écrivait en effet dans l'encycli­que : « On peut prévoir que cet enseignement ne sera peut-être pas facilement accueilli par tout le monde : trop de voix - amplifiées par les moyens modernes de propagande - s'opposent à la voix de l'Eglise. Celle-ci, à vrai dire, ne s'étonne pas d'être, à la ressemblance de son divin Fonda­teur, un « signe de contradiction », mais elle ne cesse pas pour autant de proclamer, avec une humble fermeté, toute la loi morale, tant naturelle qu'évangélique. » (N. 18.)

     Par ailleurs, Paul VI a toujours eu une profonde confiance dans la capacité des hommes d'aujourd'hui à accueillir et à comprendre la doctrine de l'Église quant au principe du « lien indissoluble que Dieu a voulu, et que l'homme ne peut rompre de son initiative, entre les deux significations de l'acte conjugal : union et procréation » (n. 12). « Nous pensons, écrivait-il, que les hommes de notre temps sont particulièrement en mesure de comprendre le caractère profondément raisonnable et humain de ce principe fonda­mental. » (N. 12.)

La signification prophétique de l'encyclique

    3. En réalité, les années qui ont suivi l'encyclique, malgré la persistance de critiques injustifiées et de silences inaccepta­bles, ont montré, avec une clarté toujours plus grande, combien le document de Paul VI était, non seulement toujours d'une brûlante actualité, mais aussi porteur d'une riche signification prophétique. Les évêques du Synode de 1980 en ont donné un témoignage particulièrement éloquent en écrivant dans leur 22e proposi­tion : « Ce saint Synode, réuni dans l'unité de la foi avec le successeur de Pierre, tient fermement ce qui a été enseigné par le Concile Vatican II (cf. Gaudium et spes, 50) et ensuite par l'encyclique Humanae vitae, et en particulier le fait que l'amour conjugal doit être pleinement humain, exclusif et ouvert à une nouvelle vie. » (Humanae vitae, 11 ; cf. 9 et 12.) (2)

     Par la suite, dans le contexte plus vaste de la vocation et de la mission de la famille, j'ai moi-même proposé une nouvelle fois, dans mon exhortation postsynodale Familiaris consortio (3), la perspective anthropologique et morale d'Humanae vitae sur la transmission de la vie humaine (n. 28-35). De même, au cours des audiences du mercredi, j'ai consacré mes dernières catéchèses « sur l'amour humain dans le plan de Dieu » à confirmer et éclairer le principe éthique fondamen­tal de l'encyclique de Paul VI, à savoir le lien indissoluble entre union et procréation dans l'acte conjugal, interprété à la lumière de la signification sponsale du corps humain (4).

     Parmi les fruits du Synode des évêques consacré à la mission de la famille dans le monde d'aujourd'hui, il faut rappeler la création de deux organismes ecclésiaux importants, destinés, ! l'un à stimuler l'activité pastorale concernant le mariage et I la famille, et l'autre à promouvoir la réflexion scientifique.

    Le premier de ces organismes est le Conseil pontifical pour la famille (5), qui a renouvelé profondément l'ancien Comité pontifical pour la famille voulu par Paul VI. Dans mon -« exhortation Familiaris consortio, j'ai indiqué le sens et la finalité de ce nouvel organisme : il devait être « un signe de i l'importance que j'attribue à la pastorale de la famille dans le monde et, en même temps, un instrument efficace pour aider à sa promotion à tous les niveaux » (n. 73).

    Le second organisme est L'Institut Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille (6). Il a été fondé « pour que l'on mette davantage en lumière, selon une méthode scientifique, la vérité du mariage et de la famille, et afin que les laïcs, les religieux et les prêtres puissent acquérir en ce domaine une formation scientifique, aussi bien philosophique et théologique que dans les sciences humaines, de sorte que leur ministère pastoral et ecclésial s'exerce de la manière la plus adéquate et la plus efficace, pour le bien du Peuple de Dieu » (Const. ap. Magnum matrimonii, 7 octobre 1982, n. 3). Cet organisme, créé et actif depuis déjà quelques années près l'Université pontificale du Latran, a obtenu la reconnais­sance juridique en 1982 et a continué ses louables efforts, élargissant son activité à d'autres pays. Ces jours-ci, cet Institut a programmé son second Congrès international de théologie morale sur le thème : « Humanae vitae : vingt ans plus tard », avec des réflexions et des analyses qui vont dans la ligne des préoccupations pastorales qui sont aussi celles de votre rencontre. La gravité des problèmes soulevés aujour­d'hui dans le domaine du mariage et de la famille rend toujours plus nécessaire qu'à l'intérieur des Conférences epis­copales nationales ou régionales, et parfois aussi en chaque diocèse, soient créés et se mettent à l'œuvre des organismes similaires à ceux que je viens de mentionner : c'est seulement de cette manière que les problèmes peuvent trouver, avec l'approfondissement doctrinal nécessaire, des réponses pas­torales valables, qui soient coordonnées de manière oppor­tune avec les initiatives d'autres organismes ecclésiaux.

La « crise » de la morale conjugale

     4. Cette rencontre revêt une importance particulière déjà par le fait qu'elle se déroule entre évêques, venus ici en tant que représentants des Conférences episcopales de leurs pays respectifs qui leur ont confié une mission spécifique dans ce secteur de la pastorale. La problématique théologique et pastorale suscitée par l'encyclique Humanae vitae et par l'exhortation Familiaris consortio, vénérés frères, représente sans aucun doute un chapitre fondamental de votre sollici­tude de maîtres et de pasteurs de la vérité évangélique et humaine sur le mariage et la famille.

     Cette rencontre peut être pour vous une occasion précieuse pour que, par l'échange d'expériences, on puisse mieux décrire et analyser la situation actuelle de l'Église, en faisant connaître les développements liés à la thématique d'Huma­nae vitae, comme aussi en fournissant des informations sur la réponse qui a été donnée à cet égard dans les diverses situations sociales et culturelles.

     La méthode de vos travaux et les résultats qui les couronne­ront pourront peut-être suggérer aussi qu'il serait opportun de renouveler à l'avenir des rencontres semblables. Elles se situent en effet dans le contexte d'une collaboration déjà en acte entre le Conseil pontifical pour la famille et les épiscopats des divers pays, surtout à l'occasion de la visite ad limina. Les multiples difficultés auxquelles la famille doit faire face dans le monde contemporain, conduisent à souhaiter le renforcement ultérieur de cette collaboration afin d'offrir aux époux toute l'aide possible pour mieux correspondre à la vocation qui est la leur.

     5. Par de nombreux aspects, la référence à l'encyclique Humanae vitae est liée, presque automatiquement, à l'idée de la « crise » qui a affecté et continue d'affecter la morale conjugale. Sans doute, on doit reconnaître les difficultés multiples et parfois graves que les prêtres et les couples rencontrent en ce domaine, les uns dans l'annonce de la vérité intégrale sur l'amour conjugal et les autres quand il s'agit de la vivre. D'autre part, les difficultés au niveau moral sont le fruit et le signe d'autres difficultés plus graves, qui touchent aux valeurs essentielles du mariage en tant que « communauté intime de vie et d'amour conjugal » (Gaudium et spes, 48).

     La diminution de l'estime portée à l'enfant en tant que « don très précieux du mariage » [ibid., 50), le refus catégorique de transmettre la vie, parfois à cause d'une conception erronée de la procréation responsable, de même qu'une interprétation tout à fait subjective et relativiste de l'amour conjugal, souvent très répandue dans notre société et notre culture, sont le signe évident de la crise actuelle du mariage et de la famille.

     Aux racines de la « crise », l'exhortation Familiaris consortio a identifié une corruption du concept et de l'expérience de la liberté, « celle-ci étant comprise non pas comme la capacité de réaliser la vérité du projet de Dieu sur le mariage et la famille, mais comme une force autonome d'affirmation de soi, assez souvent contre les autres, pour son bien-être égoïste » (n. 6).

     Plus radicalement encore, il faut noter une vision immanentiste et sécularisante du mariage, de ses valeurs et de ses exigences : le refus de reconnaître la source divine d'où découlent l'amour et la fécondité des époux expose le mariage et la famille à se dissoudre aussi comme expérience humaine.

Aspects positifs de la situation actuelle

     Dans le même temps, la situation actuelle présente aussi des aspects positifs, parmi lesquels il faut noter surtout la redécouverte des « ressources » dont disposent l'homme et la femme pour vivre l'amour conjugal dans sa vérité intégrale.

    La ressource première et fondamentale est le sacrement de mariage, Jésus-Christ lui-même qui se rend présent et agissant par l'intermédiaire de son Esprit, qui rend les époux chrétiens participants à son amour pour l'humanité rachetée. Ce « sacrement » manifeste pleinement et porte à son suprême achèvement le « sacrement primordial de la création » pour lequel, dès le commencement, l'homme et la femme ont été créés par Dieu à son image et à sa ressemblance, appelés à l'amour et à la communion. Ainsi l'homme et la femme, lorsqu'ils réalisent leur « humanité » selon la vocation au mariage, sont mis au service non seulement de leurs enfants mais aussi de l'Église et de la société.

     La période qui a suivi le Concile a marqué un progrès dans la prise de conscience de la signification ecclésiale et sociale du mariage et de la famille : c'est là le lieu le plus habituel et, en même temps, fondamental, où s'exprime la mission des laïcs dans l'Église. La « Charte des droits de la famille » (7), publiée par le Saint-Siège en 1983 à la demande du Synode des évêques, constitue un moment d'une particulière impor­tance pour la prise de conscience de la signification sociale et politique de la vie de couple et de famille. Le couple et la famille ne sont pas seulement les destinataires mais vrai­ment les « protagonistes » d'une « politique » au service du bien commun de la famille.

     6. Devant les difficultés et les ressources de la famille d'aujourd'hui, l'Église se sent appelée à renouveler sa prise de conscience de la mission qu'elle a reçue du Christ à l'égard de ce bien précieux : le mariage et la famille ; elle a reçu la mission de l'annoncer dans sa vérité, de le célébrer dans son mystère et de le faire vivre dans l'existence quotidienne par « ceux que Dieu appelle à le servir dans le mariage » (Humanae vitae, 25).

     Mais comment accomplir cette mission dans les conditions actuelles de l'Église et de la société?

     L'échange d'idées et d'expériences au cours de votre rencon­tre permettra certainement de trouver quelques réponses importantes.

     Il peut être de toute façon opportun, au début de vos travaux, de vous offrir quelques suggestions et de formuler quelques propositions.

L'amour conjugal, don de l'Esprit-Saint

     Plus que jamais, il est urgent de raviver la prise de conscience de l'amour conjugal comme don : c'est le don que, par le sacrement de mariage, l'Esprit-Saint qui, dans l'ineffable mystère de la Trinité, est la Personne-don (cf. Dominum et vivificantem, 10), répand dans le cœur des époux chrétiens. Ce don est la « loi nouvelle » de leur existence, la racine et la force de la vie morale du couple et de la famille. Et, en réalité, leur ethos consiste à vivre toutes les dimensions du don :

- La dimension conjugale, qui demande aux époux de devenir toujours davantage un seul cœur et une seule âme, révélant ainsi dans l'histoire le mystère de la communion qui existe en Dieu, un et trine ;

  • La dimension familiale, qui demande aux époux d'être disposés « à coopérer avec l'amour du Créateur et du Sauveur qui, par leur intermédiaire, sans cessé élargit et enrichit sa famille » (Gaudium et spes, 50), en accueillant de la main du Seigneur ce don qu'est l'enfant (cf. Gn 4, 1) ;
  • La dimension ecclésiale et sociale, par laquelle les époux et les parents chrétiens, en vertu du sacrement, « ont, dans leur état de vie et leur fonction, leurs dons propres au milieu du Peuple de Dieu » (Lumen gentium, 11) et, en même temps, assument et exercent - en tant que « première cellule vitale de la société » (Apostolkam actuositatem, 11) -leur responsabilité dans le domaine social et politique ;

-  La dimension religieuse, par laquelle le couple et la famille répondent au don de Dieu et, dans la foi, l'espérance et la charité, font de toute leur vie un « sacrifice spirituel agréable à Dieu par Jésus-Christ » (cf. 1 P 2, 5). Sans négliger des enseignements qui ont eux aussi leur importance, comme ceux qui concernent les aspects anthro­pologiques et psychologiques de la sexualité et du mariage, l'effort pastoral de l'Église doit mettre résolument au premier plan la diffusion et l'approfondissement de la conscience que l'amour conjugal est un don de Dieu confié à la responsabilité de l'homme et de la femme : c'est dans cette ligne que doivent aller la catéchèse, la réflexion théologique, l'éducation morale et spirituelle.

     De plus, il est plus que jamais urgent que se renouvelle chez tous, prêtres, religieux et laïcs, la conscience de l'absolue nécessité de la pastorale familiale comme partie intégrante de la pastorale de l'Église, Mère et Maîtresse. Je renouvelle avec une grande conviction l'appel lancé par Familiaris consortio : « Chaque Église locale et, en termes plus particuliers, chaque communauté paroissiale, doit permettre une plus vive conscience de la grâce et de la responsabilité qu'elle reçoit du Seigneur en vue de promouvoir la pastorale de la famille. Tout plan de pastorale organique, à quelque niveau que ce soit, ne peut jamais omettre de prendre en considéra­tion la pastorale de la famille. » (N. 70.)

La famille, Église en miniature

     L'exigence absolue que la foi devienne culture doit trouver son lieu de réalisation premier et fondamental dans le couple et la famille. Le but de la pastorale familiale consiste non seulement à rendre les communautés ecclésiales plus sou­cieuses du bien chrétien et humain des couples et de la famille, en particulier de celles qui sont les plus pauvres et en difficulté, mais aussi et surtout à susciter V « engage­ment » propre et irremplaçable des couples et des familles elles-mêmes dans l'Église et la société.

     Pour une pastorale familiale efficace et incisive, il faut compter sur la formation de ceux qui travaillent dans ce domaine vital pour l'Église et pour le monde, et susciter aussi des vocations à l'apostolat. Les paroles de Jésus : « La moisson est immense mais les ouvriers sont peu nombreux » (Le 10, 2), valent aussi pour le domaine de la pastorale familiale. Il faut des « ouvriers » qui ne craignent pas les difficultés et les incompréhensions quand ils présentent le projet de Dieu sur le mariage, qui soient disposés à « semer dans les larmes », dans l'assurance de « moissonner dans la joie » (cf. Ps 125-126, 5).

     7. Dieu veut que chaque famille devienne en Jésus-Christ une « Église domestique » (cf. Lumen gentium, 11) : de cette « Église en miniature », comme saint Jean Chrysostome aime à appeler la famille (cf. par exemple In Genesim serm. VI, 2 ; VII, 1), dépend principalement l'avenir de l'Église et de sa mission évangélisatrice.

     L'avenir d'une société plus humaine, parce que inspirée et soutenue par la civilisation de l'amour et de la vie, dépend lui aussi en grande partie de la « qualité » morale et spirituelle du mariage et de la famille ; il dépend de leur « sainteté ».

     C'est là le but suprême de l'action pastorale de l'Église dont nous, évêques, sommes les premiers responsables. Le ving­tième anniversaire d'Humanae vitae nous propose à nouveau ce but, à tous, avec la même urgence apostolique que ressentait Paul VI lorsqu'il terminait son encyclique en adressant ces paroles à ses frères dans l'épiscopat : « A la tête des prêtres, vos collaborateurs, et de vos fidèles,^ travaillez avec ardeur et sans relâche à la sauvegarde et à la sainteté du mariage, pour qu'il soit toujours davantage vécu dans toute sa plénitude humaine et chrétienne. Considérez cette mission comme l'une de vos plus urgentes responsabili­tés dans le temps présent. » (Humanae vitae, 30.)

     En faisant mienne cette exhortation, je vous accorde à tous, avec affection, ma bénédiction apostolique.

 

 

 

 

 

12 novembre 1988 - IIe Congrès International de rA théologie morale qui s'est tenu à l'Université pontificale du Latran, ayant pour objet l'encyclique Humanae vitae publiée par Paul VI II y a vingt ans, le Pape Jean-Paul II a reçu les quelque 400 participants accompagnés par Mgr Carlo Caffara, président de l'Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille. Il a prononcé devant eux, le 12 novembre, le discours suivant

Une collaboration entre pasteurs et scientifiques

     1. C'est avec une vive joie que je vous adresse mon salut : à vous, illustres professeurs, et à vous tous qui avez pris part au Congrès international de théologie morale, arrivé à son point de conclusion. Mon salut va aussi à M. le cardinal Hermann Groër, archevêque de Vienne, et aux représentants des Chevaliers de Colomb qui, par leur généreuse contribu­tion, ont permis la réalisation de ce Congrès. Une parole de satisfaction va aussi à l'Institut d'études sur le mariage et la famille de l'Université pontificale du Latran et au Centre académique romain de la Sainte-Croix qui en ont assuré la mise en œuvre et la réalisation.

Le thème qui vous a retenu, au cours de ces journées, chers Frères, provoquant de votre part une réflexion approfondie, c'est l'Encyclique Humanae vitae (1), avec le complexe réseau de problèmes qui s'y rattachent. Comme vous le savez, une rencontre s'est déroulée, ces derniers jours, sous les auspices du Conseil pontifical pour la famille, à laquelle ont participé les évêques responsables de la pastorale familiale dans leurs pays respectifs, représentant les Conférences episcopales du monde entier (2). Cette coïncidence qui n'est pas fortuite m'offre l'occasion de souligner l'importance de la collaboration entre les pasteurs et les théologiens et, d'une façon plus générale, entre les pasteurs et le monde de la science, afin d'assurer aux époux engagés à réaliser dans leur vie le dessein divin sur le mariage un soutien efficace et adapté.

     Tout le monde connaît l'invitation explicite qui est adressée, dans l'Encyclique Humóme vitae, aux hommes de science, et tout spécialement aux scientifiques catholiques, pour qu'ils contribuent par leurs études à éclairer toujours plus loin les différentes conditions qui favorisent une raisonnable régula­tion de la procréation humaine (cf. n. 24). J'ai moi-même renouvelé en plusieurs circonstances cette invitation, car je suis convaincu qu'un engagement interdisciplinaire est indis­pensable pour aborder correctement la problématique com­plexe afférente à ce secteur délicat.

L'enseignement d'Humanae vitae n'est pas une doctrine inventée par l'homme

     2. Une seconde occasion m'est ici offerte : celle de donner acte des résultats réconfortants déjà obtenus par de nombreux savants qui, au cours de ces années, ont fait progresser la recherche dans ce domaine. C'est aussi grâce à leur apport qu'il a été possible de mettre en lumière la richesse de vérité et, bien plus, la valeur si éclairante et quasi prophétique de l'Encyclique de Paul VI, vers laquelle des personnes venues  des horizons culturels les plus différents tournent leur attention avec un intérêt croissant. Des signes d'une nouvelle réflexion se font jour aussi dans ces secteurs du monde catholique qui ont été, au début, quelque peu critiques vis-à-vis de l'important document. Le progrès de la réflexion biblique et anthropologique a permis, en effet, de mieux en éclairer les présupposés et la signification.

      Rappelons en particulier le témoignage des évêques au Synode de 1980 : ceux-ci, « dans l'unité de la foi avec le successeur de Pierre », écrivaient qu'il fallait tenir ferme­ment « ce qui, au Concile Vatican II (cf. Const. Gaudium et spes, 50) et, à sa suite, dans l'Encyclique Humanae vitae, était proposé; en particulier, que l'amour conjugal doit être pleinement humain, exclusif et ouvert à la vie {Humanae vitae, n. 11 et cf. nn. 9 et 12) » (Prop. 22).  A mon tour, j'ai repris ce témoignage dans l'Exhortation post-synodale Familiaris consortio, en proposant à nouveau - et en l'élargissant au contexte de la vocation et de la mission de la famille - la perspective anthropologique et morale d'Humanae vitae, ainsi que la norme éthique qu'il en faut tirer pour la vie des époux.

.     Il ne s'agit pas, en effet, d'une doctrine inventée par l'homme : celle-ci a été inscrite par la main créatrice de Dieu dans la nature même de la personne humaine, et a été confirmée par lui dans la Révélation. Par conséquent, la remettre en cause équivaut à refuser l'obéissance de notre intelligence à Dieu lui-même. Cela revient à préférer l'éclairage de notre raison à la lumière de la Sagesse divine ; on tombe ainsi dans l'obscurité de l'erreur et on finit par entamer d'autres bases fondamentales de la doctrine chrétienne.        
 

La vérité est une...

      Il faut, à ce propos, rappeler que l'ensemble des vérités confiées au ministère de la prédication de l'Église constitue un tout unitaire, comme une sorte de symphonie, dans laquelle chaque vérité s'intègre harmonieusement aux au­tres. Les vingt années écoulées ont démontré, a contrario, cette consonance profonde : l'hésitation ou le doute sur la norme morale enseignée dans Humanae vitae a touché également d'autres vérités fondamentales de raison et de foi. Je sais que ce fait a été l'objet d'une considération attentive au cours de votre Congrès, et c'est là-dessus que je voudrais attirer maintenant votre attention. 4. Comme l'enseigne le Concile Vatican II, « in imo conscientiae legem homo detegit, quam ipse sibi non dat, sed cui oboedire débet... Nam homo legem in corde sua a Deo inscriptam habet, cui parère ipsa dignitas eius est et secundum quam ipse iudicabitur » (Const. Gaudium et spes, 16). (3) Au cours de ces années, à la suite de la contestation d'Humanae vitae, c'est la doctrine chrétienne même de la conscience morale qui a été remise en cause, dès lors qu'était acceptée l'idée d'une conscience créatrice de la norme morale. Le lien d'obéissance à la sainte volonté du Créateur a été ainsi radicalement rompu, ce lien qui constitue la dignité même de l'homme. La conscience, en effet, est le « lieu » où l'homme est éclairé par une lumière qui ne provient pas de sa raison créée et toujours faillible, mais de la sagesse même du Verbe, en qui tout a été créé. « Conscientia » - écrit encore admirablement Vati­can II - « est nucleus secretissimus atque sacrarium hominis, in quo solus est cum Deo, cuius vox resonat in intimo eius » (ibid.). (4)

...et confiée à l'enseignement du Magistère

     Plusieurs conséquences en découlent, qu'il convient de souligner. Le Magistère de l'Église ayant été institué par le Christ Seigneur pour éclairer la conscience, se réclamer de cette conscience précisément pour contester la vérité de ce qui est enseigné par la Magistère comporte le refus de la conception catholique, tant du Magistère que de la conscience morale. Parler de dignité intangible de la conscience, sans autre spécification, expose au risque d'er­reurs graves. Bien différente, en effet, est la situation d'une personne qui, après avoir mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour rechercher la vérité, se trompe, et celle d'une personne qui, par pur acquiescement à l'opinion de la majorité - souvent créée intentionnellement par les puis­sances du monde -, ou par négligence, se soucie peu de trouver la vérité. C'est l'enseignement lumineux de Vati­can II qui nous le rappelle : « Non raro tamen evenit ex ignorantia invicibili conscientiam errare, quin inde suam digni-tatem amittat. Quod auiem dici nequit cum homo de vero et bono inquirendo parum curât, et conscientia ex peccati consuetudine paulatim fere obcaecatur » (ibid.). (5) Au nombre des moyens que l'amour rédempteur du Christ a disposés afin d'éviter ce danger d'erreur, se trouve le Magistère de l'Église : en son nom, celui-ci possède une autorité d'enseignement vraie et propre. On ne peut, par conséquent, dire qu'un fidèle a mis en œuvre une diligente recherche de la vérité s'il ne tient pas compte de ce qu'enseigne le Magistère ; si, le comparant à toute autre forme de connaissance, il s'en fait le juge ; si, dans le doute, il suit plutôt son opinion personnelle ou celle de théologiens, en la préférant à l'enseignement certain du Magistère. Dans cette situation, le fait de parler encore de dignité de la conscience, sans plus, ne répond pas à ce qui est enseigné par Vatican II et par toute la Tradition de l'Église.

La norme morale et la sainteté de Dieu

     5. Le thème du caractère contraignant de la norme morale enseignée dans Humanae vitae est étroitement lié au thème de la conscience      morale. Paul VI, en qualifiant l'acte contraceptif d'intrinsèquement illicite, a voulu enseigner que la norme morale est telle qu'elle n'admet aucune exception : aucune circonstance personnelle ou sociale n'a jamais pu, ne peut et ne pourra justifier un tel acte. L'existence de normes particulières concernant l'agir de l'homme en ce monde, normes dotées d'un caractère obligatoire tel qu'il exclut toujours et quoi qu'il en soit, la possibilité d'exceptions, est un enseignement constant de la Tradition et du Magistère de l'Église qui ne peut être mis en discussion par le théologien catholique. On touche ici un point central de la doctrine chrétienne concernant Dieu et l'homme. Si l'on regarde de plus près ce qui est remis en question dans le refus de cet enseignement, il s'agit de l'idée même de la sainteté de Dieu. Nous ayant prédestinés à être saints et immaculés en sa présence, il nous a créés « in Christo Jesu in operibus bonis, quaepreparavit... ut in illis ambulemus » (Ep 2, 10) (6) : ces normes sont simplement l'exigence, dont aucune circonstance historique ne peut nous dispenser, de la sainteté de Dieu, à laquelle chaque personne humaine participe concrètement et non abstraitement. En outre, cette négation rend vaine la croix du Christ (1 Co 1, 17). En s'incarnant, le Verbe est entré pleinement dans notre existence quotidienne qui s'articule en actes humains concrets ; en mourant pour nos péchés, il nous a recréés dans la sainteté originelle qui doit s'exprimer dans notre activité quotidienne en ce monde.

     Cette négation implique encore, comme conséquence logi­que, qu'aucune vérité de l'homme n'est soustraite au cou­rant du devenir historique. Vouloir rendre vain le mystère de Dieu aboutit comme toujours à rendre vain le mystère de l'homme ; et ne pas reconnaître les droits de Dieu aboutit à nier la dignité de l'homme.

La grande responsabilité des enseignants de théologie morale

      6.  Le Seigneur nous donne de célébrer cet anniversaire pour que chacun, s'examinant devant lui, s'engage à l'avenir -dans la responsabilité ecclésiale - à défendre et à approfon­dir la vérité éthique enseignée dans Humanae vitae. Grande est la responsabilité qui repose sur vous en ce domaine, chers enseignants de théologie morale. Qui peut mesurer l'influence qu'exerce yotre enseignement, tant dans la formation de la conscience des fidèles que dans la formation des futurs pasteurs de l'Église?.

Au cours de ces vingt dernières années, pourtant un certain nombre d'enseignants n'ont pas manqué d'être en dissension ouverte avec ce qu'a enseigné Paul VI dans son encyclique.

      Cet anniversaire peut être l'occasion et le point de départ d'une réflexion nouvelle courageuse sur les raisons qui ont conduit les savants à assumer de telles positions. On découvrira alors probablement qu'à la racine de cette « opposition » à Humanae vitae il est une compréhension erronée, ou tout au moins insuffisante, des fondements même de la théologie morale. L'accueil sans critique des postulats propres à certaines orientations philosophiques et î' « utilisation » unilatérale des données offertes par la science peuvent avoir fait dévier, malgré leurs bonnes intentions, certains interprètes du document pontifical. Un effort généreux de la part de tous est nécessaire pour mieux éclairer les principes fondamentaux de la théologie morale, en ayant soin - comme l'a recommandé le Concile - de s'appliquer à ce que leur « présentation scientifique, plus nourrie de la doctrine de la Sainte Écriture, mette en lumière la grandeur de la vocation des fidèles dans le Christ et leur obligation de porter du fruit dans la charité pour la vie du monde » (Decr. Optatam totius, 16).

     7. Dans cet effort, l'Institut pontifical pour les études sur le mariage et la famille peut donner une grande impulsion : son but est précisément d'« exposer toujours plus clairement, par des méthodes scientifiques, la vérité du mariage et de la famille », et d'offrir à des laïcs, religieux et prêtres, la possibilité « d'acquérir en ce domaine une formation scienti­fique, tant sur le plan philosophique et théologique que sur le plan des sciences humaines », de manière à être plus aptes à travailler efficacement au service de la pastorale familiale (cf. Const. ap. Magnum matrimonii, 3) (7).

Des ministres de Dieu « qui parlent un même langage »

     Cependant, si l'on veut que la problématique morale connexe à Humanae vitae et à Familiaris consortio trouve sa juste place dans cet important secteur du travail et de la mission de l'Église qu'est la pastorale familiale, et qu'elle suscite une réponse responsable de la part des laïcs eux-mê­mes, comme protagonistes dans une action ecclésiale qui les regarde de si près, il faut que des Instituts comme celui-ci se multiplient dans différents pays. C'est seulement de cette façon qu'il sera possible de faire progresser l'approfondisse­ment doctrinal de la vérité et de préparer les initiatives pastorales d'une manière adaptée aux exigences qui surgis­sent dans les divers secteurs culturels et humains.

     Il faut surtout que l'enseignement de la théologie morale dans les séminaires et dans les Instituts de formation soit conforme aux directives du Magistère, de façon à ce qu'il en sorte des ministres de Dieu qui « parlent un même langage » (Encycl. Humanae vitae, 28), ne diminuant « d'aucune manière la doctrine salutaire du Christ » (ibid., 29). C'est au sens de la responsabilité des enseignants qu'il est ici fait appel : ils doivent être les premiers à donner à leurs élèves l'exemple d'« un assentiment loyal, interne et externe, au Magistère de l'Église » (ibid., 28).

     8. En voyant tant de jeunes étudiants - prêtres ou non -présents â cette rencontre, je veux conclure en leur adressant à eux aussi un salut particulier. L'un des profonds connaisseurs du cœur humain, saint Augustin, écrit : « Haec estlibertas nostra, cum isti subdimur  veritati » (De libero arbitrio, 13, 37.) (8) Cherchez toujours la vérité : vénérez la vérité découverte, obéissez à la vérité. Il n'est pas de joie en dehors de cette recherche, de cette vénération, de cette obéissance.            

Dans cette aventure merveilleuse de votre esprit, l'Église ne vous est pas un obstacle : au contraire, elle vous est une aide. En vous éloignant de son Magistère, vous vous exposez à la vanité de l'erreur et à l'esclavage des opinions : apparem­ment fortes, mais en réalité fragiles, car seule la vérité du Seigneur est éternelle.

     En invoquant l'aide divine sur votre noble labeur de chercheurs de la vérité et de ses apôtres, je donne à tous et de tout cœur ma bénédiction.

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(1) DC 1968, n°1523, col. 1441-1457.

(2) DC 1988, n°1974, p. 1170.

(3) « Au-fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée à lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir... Car c'est une loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera. »

(4) « La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. »

(5) « Toutefois, il arrive souvent que la conscience s'égare, par suite d'une ignorance invincible, sans perdre pour autant sa dignité. Ce que l'on ne peut dire lorsque l'homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l'habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle. »

(6) « Dans le Christ Jésus, en vue des bonnes œuvres que Dieu a préparées d'avance pour que nous les pratiquions. »

(7) DC 1982, n" 1839, p. 973.

(8) « C'est notre liberté que nous nous soumettions à cette vérité. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

publié le : 18 février 2018

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