Vie spirituelle

Le saint Vendredi, où Dieu est mis en Croix - Père Daniel Ange

Il règne sur le bois, ton Roi !

Jésus est arraché au puits infernal, conduit menottes aux mains devant ces tribunaux où, pendant des heures, il va être soumis à des interrogatoires dérisoires[1]. Simulacre de procès, histoire de sauver quelques formes juridiques, vu les lois de l’Empire romain. Mais tout est joué d’avance !

Le jour lentement se lève, triste et blafard… Le voici jugé, condamné, comme le sont tant et tant d’hommes et de femmes innocents.

Que de jugements injustes, iniques, peuvent être rendus ! Que de juges corrompus, achetés, compromis dans des magouilles politiques ! Que d’innocents détenus en prison, des années durant ! Que de calomnies condamnent un homme, une femme à une mort sociale !

Que de « on-dit » colportés derrière notre dos ! Que de suspicions ou simplement d’étiquettes collées ! Et un beau jour, tu te retrouves en prison, parfois condamné à mort !

Toutes ces injustices criminelles, notre Dieu a voulu les subir, en pâtir… Le voilà humilié, bafoué, calomnié, outragé, comme le seront tant de martyrs. Je pense à ces tribunaux populaires sous Staline, Mao ou Pol Pot.

Dans le totalitarisme psycho-médiatique occidental, ces tribunaux, ce sont souvent ces plateaux-télé où – modernes arènes – on tourne les chrétiens en dérision, on les jette en pâture aux bêtes sauvages : l’opinion publique. Notre manière à nous d’être flagellés, conspués, rejetés.

 

En plein tribunal sa gloire royale !

On va le renvoyer de tribunal en tribunal. Se le passer de mains en mains : comparution – encore de nuit – devant le grand prêtre Anne, l’ancien. Devant Caïphe, le grand prêtre en charge, et tout le Sanhédrin. Devant le gouverneur romain, Ponce Pilate. Renvoi à Hérode. Renvoi à Pilate… Cela n’en finit pas ! Comme pour mieux savourer leur victoire, faire durer le plaisir de cette condamnation.

Tout au long de ce procès truqué, on lui balance à la figure ses propres paroles. On les retourne contre lui. Ces joyaux de vérité, on en fait des couteaux pour l’étriper.

Tout au long de l’Histoire, ses détracteurs continueront de le faire : « Tu as dit… Il a dit… détruisez ce temple… »

Plus douloureux encore : ses titres eux-mêmes – affirmation de son identité – sont aussi retournés contre lui : « Roi d’Israël », « Fils de Dieu »

On les arrache à ses lèvres. On les tourne en railleries, en moqueries. Sa parole, on la singe, on la prostitue.

Durant les premiers siècles, on recueillait avec grand soin ces procès-verbaux d’interrogatoires, où scintillent des paroles de feu directement inspirées de l’Esprit Saint.

Ici, pas de disciples ou amis, personne pour prendre sa défense. Jésus n’aura qu’un seul avocat, le plus inattendu de tous, mais une fois le procès fini, la condamnation prononcée. Et lui-même ne dit pas un mot pour se défendre, ou si peu. Il est seul, tout seul !

Oui, devant cette avalanche d’accusations, de mensonges, de calomnies, Lui, il se tait. Ô silence de Dieu en sa souffrance ! Silence qui sidère et énerve ses juges. Mais silence qui confortera une multitude d’accusés, choisissant de répondre par le silence au bombardement d’accusations.

Puis, tels des éclairs déchirant ce grand silence, quelques brèves réponses de pure splendeur.

Souviens-toi : quand il avait – aussi l’espace d’un éclair, sur le Thabor – laissé transparaître sa gloire à travers sa chair, il avait parlé avec Élie et Moïse de quoi ? De sa Passion ! Et en pleine Passion, à quoi pense-t-il ? Solennellement, majestueusement, il ose clamer :

« Amen ! je vous le déclare : dorénavant vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. »

Plus tard, sous la pluie de pierres, Étienne verra « les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » [Ac 7, 57], l’attendant dans la gloire.

Viens et vois ton Roi ! Le voilà humilié, bafoué, condamné, et il proclame sa venue en gloire ! Il le dit pour prouver qu’il est en vérité : qu’il EST.

Tous saisissent parfaitement l’allusion au livre de Daniel, parlant de Dieu lui-même. Et la question stratégique entre toutes de fuser : « Donc c’est toi le Fils de Dieu ? » Sans l’ombre d’une hésitation : « Vous le dites je le suis ! » Oui, c’est bien moi !

Blasphème suprême ! Trop c’est trop ! Cela suffit. Il s’est condamné lui-même à mort. Le verdict tombe comme une lame d’échafaud : « Passible de mort ! »

Aujourd’hui, ceux qui osent suspecter son identité divine lui arrachent la raison précise de sa condamnation, donc le sens même de son martyre. Ils stérilisent toute sa Passion. Pire : le condamnent à mort une seconde fois dans l’esprit des croyants. S’ils se disent chrétiens, s’ils sont baptisés, alors ce sont des renégats, des judas. Quelle que soit par ailleurs leur bonne foi. Douter de sa divinité, c’est dire : tu es mort pour rien. Conséquence : personne n’est sauvé !

 

Si tu témoignes de sa vérité, il partage avec toi sa royauté

Et maintenant, viens et vois encore Jésus devant un nouveau tribunal : celui de Pilate. Au Prétoire : la cour du Palais ou plutôt de la forteresse Antonia. Dialogue bouleversant entre ces deux hommes. Entre le Sauveur des humains et le gouverneur des Romains…

« Tu es le roi des Juifs ?

– Mon royaume n’est pas de ce monde.

Si mon royaume était de ce monde,

mes gens auraient combattu

pour que je ne fusse pas livré aux Juifs.

Mais mon royaume n’est pas d’ici. »

Pilate sidéré : « Mais alors, tu es… roi ? »

Jésus en majesté : « Oui, tu le dis : Roi, je le suis[2] ! »

Il ne s’esquive pas. Ne biaise pas. N’édulcore pas.

Devant le tribunal juif, il a proclamé sa divinité devant le tribunal romain, il clame sa royauté.

Tu te rends compte : il est là, pitoyable, condamné, le visage méconnaissable, et il ose dire tranquillement : « Je suis Roi ! » Et, sur la lancée, il donne le sens même de sa présence, affirmant du même coup sa préexistence éternelle :

« Je suis né, je ne suis venu au monde que pour ceci :

rendre témoignage à la vérité.

Quiconque est de la vérité, il écoute ma voix. »

Il est de mon bord. Il partage mon sort. Il me suit. Il m’aime.

Ce qui fonde sa royauté : sa vérité. Il est Roi parce qu’il EST. C’est tout. Depuis toujours et pour toujours.

Pour régner avec Lui, suis-je prêt à témoigner de la vérité ? Jusqu’au bout ? Jusqu’au sang versé ? Ceux qui règnent sur le monde, ceux qui en dirigent le cours, ce sont avant tout ceux qui confessent leur foi, ceux qui souffrent pour la vérité. Ceux qui sont persécutés parce qu’ils sont enfants de Dieu.

Dans l’Apocalypse, le ciel résonne d’hymnes acclamant la victoire, la puissance et ici royauté de Jésus. Pourquoi ? Parce qu’il a été vaincu, « l’accusateur de nos frères, celui qui les accusait jour et nuit ». Et par qui donc ? Par les accusés eux-mêmes, ceux qui ont « méprisé leur vie jusqu’à mourir ». Et avec quelle arme ? Le sang de l’Agneau ! [cf. Ap 12, 10-12]

Avec Lui, ils sont donc rois et reines. Avec Lui, ils règnent sur le monde :

« Ils mèneront campagne contre l’Agneau, et l’Agneau les vaincra », car il est Seigneur des seigneurs et Roi des rois.

Roi tout seul ? Non !

« avec les siens : les appelés, les choisis, les fidèles. » [Ap 17, 14]

« Puis je vis des trônes sur lesquels ils s’assirent, et aussi les âmes de ceux qui furent décapités pour le témoignage de Jésus et la Parole de Dieu, et tous ceux qui refusèrent d’adorer la Bête et son image, de se faire marquer sur le front ou sur la main [du chiffre 666] : ils reprirent vie et régnèrent avec le Christ. » [Ap 20, 4-4]

 

Ton Roi, le voici !

En pleine comparution-condamnation, Jésus contemple déjà cette cohorte magnifique des témoins de la vérité de tous les temps.

Dans sa majesté et sa simplicité, ce courageux témoignage ne suscite en Pilate que cynisme et scepticisme : « La vérité, c’est quoi ce truc-là ? »

Jusqu’à la fin des temps, il y aura ceux en qui voir et entendre Jésus n’éveillera que déception, soupçon, suspicion. Mais il y aura la foule sans nombre de ceux qui, à sa suite, deviendront les splendides témoins d’une vérité, non fabriquée par eux-mêmes, mais donnée par Dieu, et par eux reçue.

N’empêche : sans en être bouleversé, Pilate en est ébranlé. Un moment, il a même le courage de prendre la défense de Jésus, d’affirmer son innocence. Par trois fois, il répétera : « Non, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Il va tenter deux subterfuges pour le sauver.

D’abord, faire appel à cette coutume juive de gracier un condamné pour la Pâque. Supermoyen de s’en tirer, de sauver la face. Mais voilà le pire qu’on pouvait redouter : « Tous vocifèrent : non pas lui, mais Barrabas ! »

Au Saint, on préfère l’assassin ! A la Lumière, les ténèbres ! Au Sauveur, un voleur ! Et cela se répétera si souvent !

Autre subterfuge : pour apaiser leur colère, le faire fouetter, flageller. Horrible injustice, mais mieux qu’une exécution. La soldatesque s’exécute. Elle en profite pour tourner en dérision sa grande affirmation : « Salut… roi des Juifs ! »

Couronne, manteau royal, sceptre, tout y est : super sketch ! Super parodie

Ici encore, viens et vois ton Roi ! Plus beau, plus majestueux que jamais… Sa couronne est tressée d’épines. Mais chaque goutte de sang qui en perle, n’est-ce pas effectivement déjà un rubis scintillant de sa gloire ?

Jésus a été le premier a être blessé par tout ce qui va un jour me blesser. Par sa Flagellation, il s’est interposé entre le coup et moi-même. Dans son corps, mes propres blessures sont devenues des blessures d’amour. Et, à chaque messe, en recevant son Corps, sa Vie, je reçois mon corps, ma vie. Mais déjà guéris par l’Amour. Si je le veux bien.

Pilate continue d’essayer de le sauver : « Il cherche à le faire relâcher. » Il voudrait qu’ils soient impressionnés, comme lui, par son humble majesté. Deux fois, il le présente à la populace, avec deux mots extraordinaires. Deux titres :

– « L’Homme, le voici ! »

– « Votre Roi, le voici ! »

Il ne sait pas ce qu’il dit. Il ne se doute pas de ce qui est contenu en ces deux mots. Ils traverseront les siècles. Toute la suite de l’histoire du monde sera là pour le prouver : oui, il est l’Homme. L’Unique. Le Seul. En Lui, tout homme devient homme.

Il est le Roi : de Lui toute autorité vient. Il règne sur le monde. Il règne d’abord par sa Croix, ensuite dans sa gloire. D’abord par sa souffrance. Ensuite par sa puissance.

Une ultime fois, Pilate : « Votre roi, vais-je donc le mettre en croix ? » En trente versets, quatorze fois ce mot « roi »

Mais au Roi du ciel, on préfère les roitelets de la terre. à un Dieu-Enfant, on préfère les idolestyrans. Au Sauveur, les dictateurs. Aujourd’hui comme hier. Actualité incessante de la Passion !

Pilate fiumt par céder, succomber. Lâchement. Malgré l’intervention courageuse d’une femme : la sienne.

Sa petite revanche ? Le mot qu’il écrit sur l’écriteau : « Jésus, le roi des Juifs ! » Basta ! Et cela, malgré toutes les pressions, il ne le lâchera pas. Il tiendra bon !

Et voilà Jésus lâché, largué, livré. Ne reste que l’exécution.

 

J’aimerais tant être aidé par toi

[Mt 27, 32 ; Lc 23, 26 ; Mc 15, 21 ; Jn 19, 17]

Avec toute la force qui est en lui, il aurait pu facilement porter sa Croix. Tout seul. Fièrement. Mais non ! Il veut la porter faiblement, pauvrement. Tomber et retomber. Il veut être aidé, soutenu. Et, puisque tous ses disciples se sont enfuis, un certain Symon de Cyrène se trouve réquisitionné au retour des champs. Il commence par subir cette contrainte. Mais sans doute très vite est-il bouleversé de lire dans les yeux de Jésus une telle paix, une telle douceur. Tout le reste de sa vie, il a dû être fier et heureux d’avoir pu avoir cette toute petite part à la souffrance de son Dieu.

C’est ainsi que Jésus nous fait ce cadeau inestimable : pouvoir participer un peu à sa Passion rédemptrice. Au début, c’est souvent malgré nous : nous subissons une épreuve. Puis, à contrecœur, nous tâchons de l’assumer. Vient enfin le moment où nous recevons la grâce de l’offrir, d’entrer dans l’oblation de Jésus. Alors, quelle paix ! Quelle paix et quelle puissance sur le Cœur de Dieu !

 

Ces pépites d’or pur…

Pour comprendre la Passion de Jésus de l’intérieur, il faut le rencontrer là même où il vit encore et toujours sa Passion aujourd’hui. Le rejoindre vivant dans les personnes en qui sa Passion se poursuit. Durant sa propre Passion, il y a presque 2 00 ans, c’est la gloire divine qui s’est insinuée dans la souffrance humaine. Aujourd’hui, comme tout au long de ces 2000 ans, je puis voir les lieux, les événements, lespersonnes où rejaillit cette gloire infiltrée dans la souffrance humaine (comme un filet d’eau qui disparaît sous terre et ressort beaucoup plus loin dans une prairie).

Et dans les pires souffrances, aujourd’hui, je peux voir la gloire de Jésus. Il y a des pépites d’or de don de soi, de générosité, qui illuminent les pires situations. Aujourd’hui même, j’ai la preuve tangible, visible, vérifiable, de cette plénitude d’amour que Jésus a vécue dans sa Passion : quand je vois des hommes, des femmes, des jeunes, des enfants qui devraient être révoltés par la souffrance, et qui l’offrent avec joie, parce que le cœur plein d’amour. Je suis témoin aujourd’hui de tout ce que Jésus a infusé d’amour dans la souffrance humaine pour la transfigurer du dedans, c’est-à-dire en changer le visage.

Je comprends qui est Jésus, moins en lisant le récit de la Passion dans l’Évangile, qu’en recevant de ceux qui souffrent avec amour, l’Évangile vivant pour aujourd’hui.

Au fond des pires horreurs, il y a de telles splendeurs ! Personne n’en parle !

Au fond de l’enfer, tant de fois j’ai vu le ciel ouvert ! Personne n’en parle !

Au fond des pires souffrances, il y a des trésors de patience ! Personne n’en parle !

Mais Dieu le sait. Cela suffit.

 

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[1] Encore une fois, je ne prétends nullement ici faire le récit de cette Passion du Sauveur. Pour cela, il suffit de méditer le texte même des différents évangiles (si possible en Synopse, c’est-à-dire en parallèle), afin de suivre Jésus à la trace, minute par minute. Ici, simplement quelques flashes « zoomant » sur tel moment ou tel détail pour mieux en saisir le sens.

[2] Et non pas, comme l’édulcore de façon navrante la traduction liturgique française : « C’est toi qui dis que je suis roi », ce qui fausse gravement le sens.

publié le : 05 avril 2012

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