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Bébé-médicament ou bébé-instrument - Pierre-Olivier Arduin 1er octobre 2009

Bébé-médicament ou bébé-instrument ? (I/II)

1 octobre 2009 | Pierre-Olivier Arduin*  - paru dans Liberté Politique

Tandis que la mission d'information parlementaire de révision de la loi de bioéthique achève ses auditions, il apparaît de plus en plus que le dispositif du bébé-médicament voté dans la précipitation en 2004 est loin de faire l'unanimité. Pourquoi ne pas l'abroger ?
Le bébé-médicament désigne un enfant conçu dans le but de guérir un frère ou une sœur aîné souffrant d'une maladie génétique familiale grâce aux cellules souches prélevées dans le sang du cordon ombilical recueilli à sa naissance [1]. En octobre 2008, la naissance du premier bébé-médicament espagnol avait suscité d'abondants commentaires dans les médias nationaux : on rappelait que la France avait elle-même autorisé cette pratique.

Il s'agissait du neuvième bébé sélectionné génétiquement dans le monde après la naissance d'Adam Nash le 29 août 2000 aux Etats-Unis [2]. Âgée de six ans, sa sœur Molly était atteinte d'une affection sanguine héréditaire, l'anémie de Fanconi, dont le seul traitement est la greffe de cellules souches hématopoïétiques. Yuri Verlinsky, directeur du département de génétique et procréation de l'Université de Chicago, parviendra à évincer tous les embryons porteurs du mauvais gène tout en sélectionnant Adam dont le système HLA (Human leucocyte antigens) est compatible avec sa sœur [3].

Concevoir un panel d'embryons

La technique biomédicale repose sur la mise en œuvre d'une fécondation in vitro classique au cours de laquelle les ovocytes, ponctionnés après une hyperstimulation ovarienne, sont fécondés par les spermatozoïdes du père. Dans ce cas cependant, l'assistance médicale à la procréation a pour unique but de conduire à la conception d'un panel d'embryons aussi large que possible afin de pratiquer un double diagnostic préimplantatoire au troisième jour de leur développement.

Le procédé nécessite en effet de combiner deux étapes rappelées par le Conseil d'État dans l'étude qu'il a rendue pour préparer le réexamen des lois françaises de bioéthique :

« Un DPI pour s'assurer que l'embryon n'est pas porteur de la maladie (choix négatif), puis un typage HLA permettant d'identifier, parmi les embryons non porteurs, ceux qui seront compatibles sur le plan immunologique avec le frère ou la sœur déjà atteint par cette maladie (choix positif) [4] ».


Il s'agit donc d'un DPI classique associé à un test de compatibilité HLA, d'où le terme officiel de DPI-HLA ou encore double DPI [5]. Le second test a pour objectif de sélectionner, parmi les embryons non porteurs de la maladie triés au préalable, l'embryon dont le système HLA est le plus apparenté à l'enfant aîné [6]. Le système d'histocompatibilité HLA est en effet le mécanisme biologique qui est responsable de la reconnaissance entre le soi et le non soi, et par conséquent qui détermine le rejet ou la réussite de la greffe envisagée. Seul l'embryon retenu, autrement dit celui qui serait indemne de la maladie génétique concernée et le plus proche sur le plan immunologique, est réimplanté dans l'utérus de la mère.

Les maladies les plus souvent retrouvées dans la littérature pour valider la démarche sont l'anémie de Fanconi, une anomalie génétique rare de la moelle osseuse (cas d'Adam aux USA) ou des pathologies de l'hémoglobine comme la drépanocytose ou la béta-thalassémie (cas de Javier en Espagne).

Dès la naissance du bébé médicament, les médecins procèdent à une cryoconservation du sang issu du cordon ombilical afin de réaliser dans les plus brefs délais une greffe de cellules souches susceptibles de traiter l'aîné malade. On peut en conclure que toutes les étapes que nous venons de décrire sont ordonnées à un et un seul objectif technique : recueillir des cellules souches histocompatibles en vue d'une greffe.

Faux espoirs

Les difficultés cumulées ont amené plusieurs spécialistes à parler ouvertement des faux espoirs donnés à l'opinion publique, tant les chances de réussite sont infimes. Le docteur Stéphane Viville, praticien aguerri du DPI en France, va même plus loin :

« C'est une faute déontologique, à l'heure actuelle, de vouloir proposer cela aux couples. Malheureusement, dirais-je, il y a eu des exceptions qui ont marché. Mais ce sont pour moi des exceptions qui confirment la règle, à l'heure actuelle en tout cas. Je crains qu'on ne fasse une offre irréaliste à des couples qui sont déjà très éprouvés, ce qui risque de les enfoncer encore plus [7]. »


Certains États européens comme la Grande-Bretagne, l'Espagne ou la Belgique l'ont pourtant autorisée tandis que d'autres tels l'Allemagne ou l'Italie l'ont formellement proscrite.

Avant la tenue des états généraux de la bioéthique, peu de personnes savaient que la France avait légalisé in extremis cette pratique lors du passage en seconde lecture devant les députés du projet de loi relatif à la bioéthique le 10 décembre 2003. En pleine nuit, l'amendement 254 portant sur cette question est adopté contre l'avis du ministre de la Santé Jean-François Mattéi qui avait émis de sérieuses réserves : « Je ne suis pas certain que nous disposions du recul suffisant pour légiférer, ni, d'ailleurs, qu'il faille légiférer pour un très petit nombre de cas ».

Si le dispositif a été retenu, le législateur a toutefois marqué une certaine hésitation quant au bien-fondé de sa décision puisque la technique confirmée par le décret d'application publié au Journal officiel du 23 décembre 2006 n'a été introduite qu'« à titre expérimental » et par « dérogation » au DPI. Or ce dernier n'a été lui-même autorisé qu'« à titre exceptionnel » lors du vote de la première loi de bioéthique du 29 juillet 1994 en raison des risques importants de dérives eugénistes. Le Parlement a donc prévu une exception à un dispositif dont le caractère est lui-même exceptionnel, ce qui semble peu pertinent sur le plan éthique.

Le diagnostic préimplantatoire n'est d'ailleurs jamais nommé tel quel dans le Code de la santé publique ; il y figure dans l'article L. 2131-4 comme étant le « diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l'embryon in vitro » dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation à condition que le couple, du fait de sa situation, ait une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Ce n'est que par dérogation à ces dispositions qu'est ajouté le nouvel article L. 2131-4-1 organisant le double-DPI si « le couple a donné naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic » et si « le pronostic vital de cet enfant ne peut être amélioré de façon décisive par l'application sur celui-ci d'une thérapeutique ne portant pas atteinte à l'enfant né du transfert de l'embryon in utero ».

L'Agence de la biomédecine est chargée d'accorder les autorisations au cas par cas aux équipes qui sont placées sous sa tutelle. Entre le 22 décembre 2006 et le 30 juin 2008, 12 praticiens ont été agréés dans les trois centres de DPI de Strasbourg, Montpellier et Paris [8]. Elle vient de révéler dans son dernier rapport qu'« entre juillet 2007 et juin 2008, sept demandes ont été faites à l'Agence qui en a autorisé cinq. Depuis, deux tentatives de FIV ont été menées chez l'un des cinq couples. Elles n'ont pas encore permis de grossesse [9] ». En pratique, les équipes n'ont pas le droit de donner satisfaction à des requêtes qui porteraient sur la mise en œuvre d'un DPI visant uniquement un typage HLA afin de soigner un enfant frappé par une pathologie maligne du sang telle une leucémie réfractaire aux traitements chimiothérapiques qui ne serait pas héréditaire.

Les objections éthiques

Cette pratique soulève des enjeux éthiques qui avaient été quelque peu occultés depuis la publication du décret du 23 décembre 2006 mais que le Conseil d'Etat a désormais reconnus dans son étude sur le sujet : « Les problèmes éthiques qu'elle soulève sont aigus [10]. » La Haute Assemblée n'investigue pas précisément le questionnement moral afférent au bébé-médicament mais rappelle toutefois avec pertinence que la technique « contredit frontalement le principe selon lequel l'enfant doit venir au monde d'abord pour lui-même [11] ». Essayons de dégager les principales objections d'ordre éthique et psychologique que nous sommes en droit d'émettre à son encontre.

Le premier point concerne le sort des embryons sains dont les critères d'histocompatibilité ne répondraient pas aux attentes des biologistes. Dans une AMP classique, ces embryons sont théoriquement conçus, au moins dans un premier temps, à des fins procréatives. Ce n'est qu'a posteriori, en cas d'extinction du projet parental, que le couple peut abandonner ces embryons surnuméraires. Avec le bébé-médicament, le rejet des embryons sains mais non compatibles est prévu dès l'initiation du processus : il est donc programmé. Les protagonistes savent en toute connaissance de cause qu'ils ne garderont pas ces embryons jugés par définition inutiles.

Ici, l'équipe des biologistes de la reproduction sait que statistiquement le gâchis sera lourd après avoir obtenu un embryon « sur mesure ». Les spécialistes estiment en effet qu'une quinzaine d'embryons en moyenne sera laissée pour compte une fois obtenu l'enfant au génotype adéquat. D'ailleurs, pour atténuer cette logique de « consommation d'embryons », le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine a demandé qu'en cas d'absence d'embryon HLA-compatible soit interdit de procéder à une nouvelle tentative de FIV tant que sont conservés des embryons indemnes de l'affection causale [12]. Le couple ne peut donc pas théoriquement refuser l'implantation d'un embryon sain même s'il ne répond pas à leur projet de « bébé-médicament ».

En revanche en cas de succès, les embryons indemnes sont exclus de facto du projet parental, le couple devant choisir pour eux entre trois options légalement possibles : accueil de leurs embryons par un autre couple, don à la science pour recherche sur les embryons ou arrêt de leur conservation, c'est-à-dire leur destruction (article L. 2141-4). Quant aux embryons malades, comme dans tout DPI, le couple peut consentir qu'en lieu et place de leur destruction, ils soient donnés aux scientifiques (art. R. 2151-4 du décret du 6 février 2006).

D'autre part, la procréation humaine est détournée au profit du projet de création d'un être humain dont la « mission » principale est d'être un médicament. Projet porteur d'une aliénation de la liberté humaine qui semble inévitable, sa conception étant voulue originellement en raison de ses potentialités thérapeutiques espérées. Il n'a d'autre choix que d'endosser le statut de réservoir de cellules pour son aîné malade, soumis à un projet prédéterminé par autrui. La technoscience a alors toute latitude à exploiter les produits de son corps à la fabrication duquel elle aura en grande partie contribué. L'utilitarisme est poussé ici à l'extrême, réduisant une personne humaine à un objet jugé à l'aune de son utilité technique. Le bébé-médicament n'est-il pas finalement un « bébé-instrument » ?

Le danger de chosification de l'être humain est ici très présent, heurtant de plein fouet le grand principe kantien : « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours et en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen [13]. » Il est très difficile de circonscrire parfaitement cette pratique en empêchant qu'elle revête le caractère d'un acte de disposition relatif à une personne. La réification de l'enfant traité comme un objet technique n'est jamais loin le faisant basculer pour une part dans le monde des choses, appropriables et disponibles, à l'inverse des personnes, radicalement indisponibles. Les choses ont un prix, l'homme a une dignité, loi fondamentale de notre civilisation.


* La semaine prochaine : Bébé-médicament : examen des aspects psychologiques et scientifiques.

 

 

[1] P.-L Fagniez, J. Loriau and C. Tayar, « Designer baby moved to French « bébé du double espoir », Gynécologie, Obstétrique et Fertilité, vol. 33, 10, October 2005, p. 828-832.
[2] Jean-Frédéric Poisson, Bioéthique, l'homme contre l'Homme ?, chapitre IV, « Mon médicament s'appelle Adam », Presses de la Renaissance, Paris, 2007, p. 87-118.
[3] Y. Verlinsky, S. Rechitsky, W. Schoolgraft, C. Strom, A. Kuliev, Preimplantation diagnosis for Fanconi anemia combined with HLA matching, JAMA, 285, 2001, p. 3130-3133.
[4] Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, Les Etudes du Conseil d'Etat, La documentation française, Paris, 2009, p. 37.
[5] Le typage HLA (Human leucocyte antigens) permet d'identifier chez chaque membre de l'espèce humaine les protéines de surface des cellules qui assurent la compatibilité et l'acception des greffons.
[6] Y. Verlinsky, S. Rechitsky, T. Sharapova, R. Morris, M. Taranissi, A. Kuliev, Preimplantation HLA testing, JAMA, 291, 2004, p. 2079-2085.
[7] Cité in Cécile Kingler, « Naître pour sauver ? », Les dossiers de la Recherche n. 26, février 2007.
[8] J. Steffann, N. Frydman, P. Burlet, N. Gigarel, E. Feyereisen, V. Kerbrat, G. Tachdjian, A. Munnich, R. Frydman, « Entending préimplantation genetic diagnosis to HLA typing : the Paris experience », Gynécologie, Obstétrique et Fertilité, Vol. 33, 10, October 2005, p. 824-827.
[9] Agence de biomédecine, Bilan d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, Rapport au ministre de la Santé, octobre 2008. La question a été abordée par la mission d'information parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique lors de l'audition du docteur Steffann le 4 mars 2009.
[10] Conseil d'État, op. cit., p. 44.
[11] Ibid.
[12] Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, Avis sur le double diagnostic DPI-HLA, délibération n. 2006-CO-10, séance du vendredi 9 juin 2006.
[13] Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs (1785

publié le : 01 octobre 2009

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