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Le Président du Burkina Faso : "L'Eglise n'a pas le monopole de l'abstinence"




■ Pour le président Blaise Compaoré, la lutte contre le sida est une priorité qui ne souffre aucune réduction idéologique : l'abstinence et la fidélité sont aussi des moyens de prévention contre le sida.

Le préservatif ne permet pas de dépasser le Sida, affirme Benoît XVI Vous présidez personnellement le Comité national de lutte contre le sida. Pourquoi ?
C'est un engagement moral quand on est responsable d'une communauté de 12 millions de personnes. En Afrique de l'Ouest, le sida menace la vie de millions d'hommes et de femmes. Son impact sur la société est considérable. Le chef de l'Etat doit être à l'avant-garde.

Le Burkina a développé un cadre stratégique classique avec les éléments clés de la lutte contre le sida : la prévention, le suivi épidémiologique, et la prise en charge des malades. Nous commençons à enregistrer des résultats - le taux de prévalence est passé de 7 % en 1997 à 4 % en 2003.

Les malades peuvent-ils accéder aux antirétroviraux (ARV) aussi facilement qu'en Europe ?
Nous avons enregistré des efforts incontestables de la part des laboratoires. Les traitements antirétroviraux (ARV) sont vingt fois moins cher qu'au début. Mais les prix restent élevés pour les populations subsahariennes. Mettre les ARV à la disposition des malades ne suffit pas, il faut veiller à former le personnel de santé.

Quel est votre degré d'indépendance face à des organismes comme l'Onu-sida ou l'Organisation mondiale de la santé ?
Notre faiblesse, au Burkina, c'est le manque de moyens. Mais les partenaires qui disposent du financement ont compris que les programmes ne devaient pas tomber du ciel. Si tel n'était pas le cas, nous serions incapables de mettre en oeuvre un programme stratégique de lutte contre le sida.

Face aux organismes internationaux, il faut savoir résister. On peut nous conseiller, mais pas faire à notre place. En matière de santé, je pense que le prêt-à-porter ne marche pas. Les Etats aussi exercent sur nous des pressions. Récemment, un journaliste américain m'interrogeait : "Qu'allez-vous faire pour aider les Etats-Unis à lutter contre le terrorisme ?" J'ai répondu : "Que vont faire les Etats-Unis pour soutenir notre lutte contre le sida ?" Le sida est aussi dangereux que le terrorisme !

Comment percevez-vous le récent débat sur le préservatif en Espagne ?
Les Européens n'éprouvent pas le danger du sida de la même manière que nous. Pour les Burkinabés, le danger est immédiat. La pandémie est une réalité visible, elle frappe votre famille, vos amis les plus proches. En Europe, vous avez peut-être le loisir de faire des thèses pour ou contre la morale. Au Burkina, nous n'avons pas le temps.

Vous agissez dans l'urgence ?
Je dirais plutôt que nous n'avons pas de tabous. Nous venons d'expérimenter des OGM dans le pays. Quand un aveugle a perdu un grain de sel, il le cherche partout, quitte à avaler quelques cailloux. Si les OGM nous permettent de multiplier par six notre production, cela vaut la peine de faire un essai. Lorsque les gens vivent dans l'abondance, ils peuvent faire la fine bouche. Pas nous.

Mais les partisans du préservatif estiment rendre un service à l'Afrique...
Il y a souvent un gouffre entre ce que disent les médias et ce qui se passe sur le terrain. En Afrique, nous vivons avec le sida au quotidien. Le débat sur le préservatif, tel que vous le présentez, ne nous concerne pas. Les Français aiment la polémique, c'est leur côté gaulois ! Certains critiquent la position de l'Eglise en prétendant défendre les Africains. Soit. Mais la plupart n'ont jamais mis les pieds chez nous !

Je leur conseille de venir faire un séjour au Burkina. Chez nous, l'imam, le prêtre et le chef coutumier travaillent de concert : tous ont l'ambition d'affronter le même mal. Se focaliser sur le préservatif, c'est passer à côté du problème du sida. En tant que chef de l'Etat, je ne peux pas préconiser un moyen de prévention exclusif aux dépens des autres.

Dans la lutte contre la pandémie, l'Eglise est-elle un partenaire crédible ?
Beaucoup de gens ignorent le travail de l'Eglise en Afrique. En France, l'intelligentsia ne comprend pas cette proximité avec les responsables catholiques. Chez nous, l'Eglise est d'abord synonyme d'écoles et de dispensaires. Le débat sur le sida n'est pas théorique, il est pratique. L'Eglise apporte sa contribution. Si l'abstinence est un moyen de prévention, nous n'allons pas nous en priver ! Le Burkina est une société plurielle. Plusieurs modes de prévention peuvent cohabiter : l'abstinence, la fidélité, et le préservatif.

L'abstinence, est-ce un moyen de prévention vraiment réaliste ?
L'Eglise n'a pas le monopole de l'abstinence ! En tant que chef de l'Etat, j'ai pris des engagements dans ce sens depuis 2002 dans le cadre de la campagne "C'est ma vie". L'objectif était de mettre les gens devant leurs responsabilités. Parmi les engagements proposés, certains faisaient directement appel à l'abstinence : "J'ai décidé de m'abstenir de tout rapport sexuel quand mon mari (ma femme) est absent(e)", et "J'ai décidé de m'abstenir de toute relation sexuelle jusqu'au mariage".

Votre politique tout en nuances peut-elle être comprise par un Français ?
Je répondrais "oui" par une boutade. Un document trouvé en Afghanistan explique que seuls l'arabe et l'anglais conviennent à la formation des terroristes. Le français est à bannir, car c'est une langue de réflexion ! Un homme passé par l'école française ne sera jamais capable de devenir kamikaze. On ne pose pas de bombes quand on a lu Pascal ou Descartes.

Samuel Pruvot - Famille Chrétienne 12.202005

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