Vie spirituelle

des Saints nous parlent du Purgatoire


LE SAINT CURE D'ARS (1786-1859)

Une dame avait perdu son mari, homme irréligieux, qui avait fini sa vie par le suicide. Inconsolable sur son sort, qu'elle croyait être la damnation éternelle, elle fut amenée par hasard à Ars et chercha à rencontrer le saint Curé pour l'interroger sur le malheureux défunt. Elle réussit à l'approcher et, avant même qu'elle eût pu lui dire un mot, le saint lui murmura à l'oreille : Il est sauvé... Oui, il est sauvé, insista-t-il. La pauvre femme fit un geste de la tête qui voulait dire : Oh ! ce n'est pas possible. Alors, d'un ton affirmatif encore :
« Je vous dis qu'il est sauvé, qu'il est en purgatoire et qu'il faut prier pour lui... Entre le parapet du pont et l'eau il a eu le temps de faire un acte de repentir. C'est la très Sainte Vierge qui a obtenu sa grâce. Rappelez-vous le mois de Marie élevé dans votre chambre. Votre époux irréligieux ne s'y est point opposé ; il s'est même parfois uni à votre prière... Cela lui a mérité un suprême pardon. »

In Abbé Trochu, Le saint curé d'Ars, Paris, Lethielleux.


Comment pourrai-je faire le tableau déchirant des maux qu'endurent ces pauvres âmes, puisque les saints Pères nous disent que les maux qu'elles endurent dans ces lieux semblent égaler les souffrances que Jésus-Christ a endurées pendant sa douloureuse Passion ? Le feu du purgatoire est le même que celui de l'enfer, la différence qu'il y a c'est qu'il n'est pas éternel. Ce feu est si violent qu'une heure semblent à ceux qui l'endurent des milliers de siècles. Si l'on pouvait comprendre la grandeur de leurs supplices, nuit et jour nous crierions miséricorde pour elles. Il faudrait que le bon Dieu, dans sa miséricorde, permît qu'une de celles qui brûlent dans les flammes parût ici à ma place, tout environnée des feux qui la dévorent et qu'elle vous fît elle-même le récit des maux qu'elle endure. Il faudrait qu'elle fît retentir cette église de ses cris et de ses sanglots. Peut-être enfin cela attendrirait-il vos coeurs ! « Oh ! nous souffrons, crient-elles ! Oh ! nos frères, délivrez-nous de ces tourments : vous le pouvez ! Brûler dans un feu allumé par la justice d'un Dieu ! Souffrir des douleurs incompréhensibles ! Etre dévoré par le regret, sachant que nous pouvions si bien les éviter ! »

Nous lisons dans l'Histoire ecclésiastique qu'un saint resta six jours en purgatoire avant d'entrer dans le ciel. Il apparut ensuite à un de ses amis, en lui disant qu'il avait enduré des souffrances si grandes qu'elles surpassaient toutes celles qu'ont endurées et qu'endureront jusqu'à la fin des siècles tous les martyrs réunis ensemble ! Oh ! mon Dieu, que votre justice est redoutable pour le pécheur ! Cependant qui peut entendre sans frémir le récit de ce qu'on enduré les martyrs, chacun en particulier ? Les uns ont été plongés dans des chaudières d'eau bouillante, d'autres sciés avec des scies de bois ; celui-ci étendu sur un chevalet, déchiré avec des crochets de fer qui lui arrachaient les entrailles ; d'autres foulés aux pieds ; celui-là étendu sur des brasiers ardents, auquel il ne restait que ses os tout noircis et brûlés ; enfin d'autres ont été mis sur des tables garnies de lames tranchantes et qui perçaient de part en part ces innocentes victimes ! Peut-on bien penser à tout cela sans se sentir pénétré de douleur jusqu'au fond de l'âme ? Or une âme en purgatoire souffre encore plus que tous les martyrs ensemble ! Qui pourra donc y tenir ? Mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de ces pauvres âmes !

Mais ce n'est pas là tout leur supplice. Elles souffrent plus encore de la privation de la vue de Dieu. L'amour qu'elles ont pour lui est si grand, la pensée qu'elles sont privées de le voir par leur faute leur cause une douleur si violente que jamais il ne sera donné à un mortel d'en concevoir la moindre idée. Au milieu de ces flammes qui les brûlent, elles voient les trônes de gloire qui leur sont préparés et qui les attendent. Une voix semble leur crier : « Ah ! que vous êtes privés de grands biens ! Si vous aviez eu le bonheur de redoubler vos pénitences et vos larmes, vous seriez aujourd'hui assises sur ces beaux trônes tout rayonnants de gloire ! Oh ! que vous avez été aveugles de retarder un tel bonheur par votre faute ! »

Ah ! mes amis, nous crient ces âmes, s'il vous reste encore quelque amitié pour nous, ayez pitié de nous ! Arrachez-nous de ces flammes : vous le pouvez ! Beau ciel ! Quand te verrons-nous ? Oh ! si vous sentiez la douleur d'être séparés de Dieu. Cruelle séparation !

Hélas ! quand de tels supplices ne dureraient qu'un jour, qu'une heure, qu'une demi-heure, cela paraîtrait infiniment plus long à ces pauvres âmes que des millions de siècles dans les supplices les plus rigoureux ! Pourquoi cela ? Le voici. Quand Dieu punit quelqu'un en ce monde, ce n'est que sous le règne de sa bonté et de sa miséricorde, car si Dieu envoie une infirmité, une perte de biens ou d'autres misères, tout cela ne nous est donné que pour faire éviter les peines du purgatoire ou pour nous faire sortir du péché. Dans l'autre monde, au contraire, Dieu n'est conduit que par sa justice et sa vengeance. Nous avons péché et nous avons passé le temps de sa miséricorde. Il faut que sa justice soit accomplie et sa vengeance satisfaite. « Oh ! qu'il est terrible de tomber entre les mains d'un Dieu vengeur ! »

Au sein de leurs souffrances, si elles ne peuvent rien pour elles-mêmes, ces âmes peuvent beaucoup pour nous. Cela est si vrai qu'il n'y a presque personne qui ait invoqué les âmes du purgatoire sans avoir obtenu la grâce demandée. Cela n'est pas difficile à comprendre. Si les saints qui sont au ciel et n'ont pas besoin de nous s'intéressent à notre salut, combien plus encore les âmes du purgatoire qui reçoivent nos bienfaits spirituels à proportion de notre sainteté !

Ne refusez pas cette grâce, disent-elles, ô mon Dieu, à ces chrétiens qui donnent tous leurs soins à nous tirer des flammes !

... Oui, toutes les fois que nous aurons quelque grâce à demander, adressons-nous avec confiance à ces saintes âmes et nous sommes sûrs de l'obtenir. Quel bonheur pour nous d'avoir, dans la dévotion aux âmes du purgatoire, un moyen excellent pour nous assurer le ciel. Voulons-nous demander à Dieu la douleur de nos péchés ? Adressons-nous à ces âmes, qui, depuis tant d'années, pleurent dans les flammes ceux qu'elles ont commis. Voulons-nous demander au bon Dieu le don de persévérance. Invoquons-les : elles en sentent tout le prix, car il n'y a que ceux qui persévèrent qui verront Dieu. Dans nos maladies, dans nos chagrins, tournons nos prières vers les âmes du purgatoire : elles obtiendront leur effet.

In Sermon du Curé d'Ars pour la commémoraison des défunts.


C'est comme les hirondelles qui sont enfermées dans une chambre : elles cherchent partout une issue pour s'envoler au dehors, elles donnent de la tête contre les vitres, contre le plafond, elles tombent de lassitude, puis quand elles se sont un peu reposées, elles se relèvent, recommencent â voler et veulent toujours échapper ! Pauvres petites hirondelles ! Pauvres âmes du purgatoire ! Qui leur donnera la liberté après laquelle elles aspirent ? - Nous, si leur captivité nous touche !

D'après L. Tocanier, Souvenirs sur le Curé d'Ars.




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SAINTE GERTRUDE (1256-1302)

Gertrude priait pour un Frère défunt qui avait toujours été très dévoué à la congrégation ; le Seigneur lui dit :
« J'ai déjà, à cause des prières de la congrégation, récompensé son dévouement en trois choses : sa bienveillance naturelle lui donnait déjà une grande joie intime de pouvoir rendre service à quelqu'un ; or, toutes ces joies qu'il éprouvait, après chaque service nouveau, sont aujourd'hui réunies ensemble et il les ressent toutes à la fois dans son âme. Il possède encore la joie de tous les coeurs qu'il a réjouis de ses bienfaits : ceux des pauvres par une aumône, ceux des enfants par des présents, ceux des malades par un fruit ou quelque autre soulagement. Enfin il a de plus la joie de savoir que toutes ces actions m'étaient agréables et, s'il faut encore quelque chose pour que son soulagement soit parfait, cela ne lui manquera pas longtemps.

Cité par le R.P. Saudreau, Les divines Paroles, Paris, 1914.


Sainte Gertrude eut un jour une révélation. Elle vit en esprit l'âme d'une religieuse qui avait passé sa vie dans l'exercice des plus hautes vertus. Elle se tenait en présence de Notre-Seigneur, revêtue des ornements de la charité ; mais elle n'osait lever les yeux pour le regarder. Elle les tenait baissés, comme si elle eût été honteuse de se trouver en sa présence, et témoignait par ses gestes le désir qu'elle ressentait de s'éloigner de lui. Gertrude, étonnée d'une telle conduite, osa s'adresser à Jésus pour en savoir la cause : « Dieu de bonté, dit-elle, pourquoi ne recevez-vous pas cette âme dans le sein de votre infinie charité ? Que signifient ces étranges mouvements de défiance que je remarque en elle ? » Alors Notre-Seigneur étendit son bras droit vers l'âme de la religieuse pour l'attirer à lui ; mais elle, avec un sentiment de profonde humilité et de grande modestie, se retira de lui. La sainte, en proie à un étonnement toujours croissant, lui demanda pourquoi elle fuyait les caresses d'un époux si digne d'être aimé ; et la religieuse lui répondit : « Parce que je ne suis pas entièrement purifiée des taches que mes péchés ont laissés après eux; et même si mon Dieu me permettait d'entrer librement dans le ciel dans l'état où je suis, je ne l'accepterais pas ; car si brillante que je puisse paraître à vos yeux, je sais que je ne suis pas encore une épouse digne du Seigneur. »

Cité in R.P. Faber, Tout pour Jésus, chap. IX.


Sainte Gertrude priait pour Frère Hermann, convers, récemment décédé. Cette âme lui ayant été montrée : « Pour quelle faute, lui demanda-t-elle, souffrez-vous davantage ? - Pour ma volonté propre : même lorsque je faisais du bien, j'aimais mieux en faire à ma tête que de suivre l'avis des autres. J'en souffre maintenant une si grande peine que, si l'on réunissait toutes les peines qui accablent le coeur de tous les hommes, elles n'arriveraient à rien de pareil à ce que je souffre. » Comme Gertrude récitait pour lui l'Oraison dominicale, quand elle prononça ces paroles : « Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons », cette âme prit un air plein d'anxiété et lui dit : « Lorsque j'étais dans le monde, j'ai beaucoup péché pour n'avoir pas facilement pardonné à ceux qui avaient agi contre moi ; pendant longtemps, je gardais mon sérieux avec eux, et, pour expiation, je souffre, lorsque j'entends ces paroles, une honte intolérable et pleine d'anxiété. » Comment on offrait pour cette âme le saint Sacrifice, elle parut en être merveilleusement réjouie et glorifiée. Ce que voyant Gertrude, elle demanda au Seigneur : « Cette âme a-t-elle acquitté maintenant tout ce qu'elle devait souffrir ? » Le Seigneur répondit : « Elle en a plus acquitté que toi ou quelqu'un des hommes ne pourrait le penser, cependant elle n'est pas tellement purifiée qu'elle puisse être admise à jouir de ma présence. Mais sa consolation et son soulagement vont toujours croissant à mesure que l'on prie pour elle. Cependant vos prières ne peuvent la secourir aussi promptement qu'elles le feraient si elle n'avait commis dans le monde cette faute de se montrer dure et inexorable et de ne pas fléchir sa volonté au gré de la volonté des autres, ne voulant pas accorder ce qu'elle n'avait pas dans sa volonté. »

Cité par le R.P. Saudreau, Les divines Paroles, Paris, 1914.


Sainte Gertrude apprit du Seigneur que quand une âme meurt après avoir commis certaines fautes nombreuses et très graves, elle ne peut pas être aidée par les suffrages communs de l'Eglise : il faut qu'après un certain temps de purgatoire elle dépose ce fardeau de péché qui faisait obstacle à ces suffrages de l'Eglise, que les âmes souffrantes reçoivent, à chaque instant, comme une rosée salutaire ou un baume plein de suavité ou comme le plus rafraîchissant breuvage. La sainte avait obtenu du Seigneur qu'une âme qu'on lui recommandait et qui était dans cette condition fût délivrée de ce terrible obstacle. Elle lui demanda par quels travaux et quelles prières on peut obtenir cette grâce pour les âmes si malheureuses. Le Seigneur répondit : « Tu ne peux faire aucun travail ni aucune prière qui puisse apporter à une âme un si puissant secours, parce que cela ne peut s'obtenir tout à coup que par une affection d'amour semblable à celle que tu viens d'éprouver tout à l'heure. Or, c'est là une faveur qu'on ne peut avoir, à moins que je ne la donne. De même un tel secours ne peut être accordé à une âme après la mort, à moins que par une grâce spéciale elle ne l'ait mérité en cette vie. Mais sache qu'une telle peine peut être soulagée à la longue par les prières ou les travaux accomplis avec fidélité par les amis de cette âme. Ce temps est donc plus ou moins long, selon que ses amis y mettent pour elle plus de dévotion et plus d'amour, et aussi selon qu'elle l'a mérité durant sa vie. »

Cité par le R.P. Saudreau, Les divines Paroles, Paris, 1914.


Afin d'exciter le zèle de Gertrude en faveur des âmes du purgatoire, le Seigneur lui dit : « Suppose un roi qui retiendrait en prison quelques-uns de ses plus grands amis, qu'il remettrait volontiers en liberté si la justice ne l'en empêchait; poussé par le désir de leur délivrance, et, voyant que d'eux-mêmes ils ne peuvent y contribuer, ce roi accepterait avec joie que quelqu'un payât, en or ou en argent, ou d'une autre manière, ce qui serait nécessaire à l'acquittement de leur dette. De même, j'accepte tout ce qui m'est offert pour la délivrance des âmes que j'ai rachetées de mon sang précieux; j'ai alors une occasion de les délivrer de leurs peines et de les conduire aux joies qui leur sont préparées de toute éternité. » Gertrude : « Combien vous est agréable la peine que se donnent ceux qui s'acquittent du Psautier en usage dans notre congrégation ? » Il répondit : « Elle m'est aussi agréable que si, de leur argent, ils me rachetaient moi-même de la captivité : chaque fois qu'une âme est délivrée par leurs prières. Et très certainement je leur rendrai cela en temps opportun, dans la mesure que comporte la toute-puissance de ma libérale bonté. »

Cité par le R.P. Saudreau, Les divines Paroles, Paris, 1914.


Dans la nuit de Pâques, Gertrude demandait au Seigneur de délivrer du purgatoire les âmes de ceux qui l'avaient aimé ici-bas d'un amour très fidèle, et, pour l'obtenir, elle faisait cette offrande au Seigneur : « Je vous offre, en union de votre très innocente Passion, tout ce que mon coeur et mon corps ont souffert dans mes continuelles infirmités. » Alors le Seigneur lui fit voir la multitude d'âmes qui venaient d'être délivrées de leurs peines et lui dit : « Je les donne toutes en dot à ton amour et l'on verra éternellement dans le ciel qu'elles ont été délivrées par tes prières, et ce sera pour toi un éternel honneur en face de tous mes saints. »

Cité par le R.P. Saudreau, Les divines Paroles, Paris, 1914.




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SAINTE CATHERINE DE GENES (1447-1510)

Les âmes qui sont en purgatoire ne peuvent vouloir ni désirer autre chose que d'y demeurer paisiblement parce qu'elles savent qu'elles y sont par un ordre très équitable de la justice de Dieu. Il leur est impossible, dans cet état, de faire aucun retour sur elles-mêmes, comme de dire : « J'ai fait tel ou tel péché pour lequel je souffre maintenant ici : je voudrais ne l'avoir pas commis parce que je jouirais à présent des délices du paradis. » Elles ne peuvent non plus dire : « Celui-ci sortira d'ici avant moi, ou : j'en sortirai plus tôt que lui. » Elles sont tellement abîmées en Dieu qu'elles ne peuvent ni en bien ni en mal former la moindre pensée d'elles-mêmes ou des autres qui puissent ajouter à leur tourment. Elles ne s'occupent qu'à considérer avec quelle bonté Dieu se conduit envers les hommes pour les attirer à lui. Elles ne peuvent ni vouloir ni désirer autre chose que l'accomplissement de la volonté de Dieu, qui est lui-même cette pure charité de laquelle elles ne peuvent s'éloigner. (chap. I)

Les âmes endurent dans ces lieux des tourments si grands et si terribles qu'il n'y a ni langue pour les exprimer ni entendement pour en concevoir la moindre étincelle. Il faut que Dieu, par une faveur particulière, les fasse comprendre à une âme, comme il a plu à son extrême bonté de le faire à la mienne. J'avoue aussi que cette vue qu'il a plu à Dieu de m'en donner ne m'est jamais sortie de l'esprit. J'en ai toujours conservé la mémoire présente à mes yeux, et si je puis bien en dire ici quelque chose, cependant personne ne comprendra parfaitement, que celui à qui Dieu daignera faire la même grâce qu'il m'a faite. (chap. II)

L'âme est tellement embrasée du désir qu'elle a de posséder Dieu et d'être transformée en lui, que c'est en cela que consiste son principal tourment en purgatoire. Elle ne considère pas toutes ces pensées ni toutes ces flammes qui l'environnent : ce qui la tourmente et qui la brûle davantage, c'est cette ardeur violente qu'elle a de jouir de Dieu, sans pouvoir le satisfaire.

Il est incroyable quelle est la conformité de Dieu avec l'âme. Elle est telle que lorsque Dieu voit cette âme retourner à la pureté dans laquelle il l'a créée, il lui lance les rayons de son amour, de façon que cette âme est tellement transformée en Dieu qu'elle se voit n'être qu'une même chose avec lui. Et il continue toujours de l'attirer et de l'embraser du feu de son amour, jusqu'à ce qu'il l'ait rétablie dans sa première pureté. L'âme, de son côté, se sentant si intimement attirée par son Dieu, est toute pénétrée d'amour et se fond dans l'ardeur de ce feu divin. Et comme elle ne peut suivre cet attrait de Dieu, dont le moindre retard lui est si pénible, et que son instinct naturel et l'ardent désir qu'elle a d'aller à lui se trouvent empêchés, elle sent alors une peine qui est proprement la peine du purgatoire. (chap. II)

Quelle grande chose que ce purgatoire ! Pour moi, je l'avoue, je ne puis rien dire ni rien concevoir qui en approche. J'entrevois seulement que les peines qu'on y endure sont aussi sensibles que les peines de l'enfer. (chap. VIII)

Je ne crois pas qu'après la félicité des saints du paradis il puisse exister une joie comparable à celle des âmes du purgatoire. Une incessante communication de Dieu rend de jour en jour leur joie plus vive, et cette communication devient de plus en plus intime, à mesure qu'elle consume dans ces âmes l'obstacle qu'elle y trouve. Cet obstacle n'est pas autre chose que la rouille ou les restes du feu. Comme le feu du purgatoire va sans cesse le consumant, l'âme s'ouvre de plus en plus à la communication de Dieu. J'explique ma pensée par une comparaison : exposez au soleil un cristal couvert d'un épais voile, il ne peut recevoir les rayons ; la faute n'en est point au soleil qui ne cesse de briller, mais au voile qui intercepte ses rayons. Que cette couverture vienne peu à peu à se consumer, le cristal successivement découvert recevra de plus en plus les rayons du soleil, et, quand l'obstacle aura entièrement disparu, le cristal sera tout entier pénétré par le soleil. Ainsi en est-il des âmes du purgatoire. La rouille du péché est le voile qui intercepte pour elles les rayons du vrai soleil, qui est Dieu. Le feu va consumant de jour en jour cette rouille, et, à mesure qu'elle est consumée, les âmes réfléchissent de plus en plus la lumière de leur vivant soleil. Leur joie augmente à mesure que la rouille diminue et qu'elles sont plus exposées aux divins rayons. Ainsi l'un va toujours en augmentant et l'autre en diminuant, jusqu'à ce que le temps de l'épreuve soit accompli. Qu'on ne croie pas cependant que la peine diminue : ce qui diminue c'est uniquement le temps de sa durée. Mais dans l'intime de leur volonté, ces âmes ne pourraient jamais se résoudre à dire que ces peines sont des peines, tant elles sont heureuses de la disposition de Dieu à laquelle leur volonté est unie par le lien de la pure charité. (chap. II)

Tu vois encore que ce Dieu d'amour, ce Dieu infiniment aimant, lance à l'âme certains rayons, certains éclairs embrasés qui sont si pénétrants qu'ils anéantiraient non seulement le corps, mais l'âme même, si c'était possible (ici-bas). Ces rayons et ces éclairs, dardés par l'amour infini de Dieu, produisent deux effets : ils purifient et ils anéantissent. Voyez l'or, plus il reste au creuset, plus il se purifie ; et on peut le purifier de telle sorte que tout ce qu'il a d'impur et d'étranger se trouve anéanti. L'amour de Dieu fait dans l'âme ce que fait le feu dans les choses matérielles : plus elle reste dans ce divin brasier, plus elle se purifie. Ce brasier, la purifiant toujours davantage, finit par anéantir en elle tout ce qu'elle a d'imperfections et de taches et la laisse en Dieu entièrement purifiée. Lorsque l'or a passé par le feu et qu'il a acquis le dernier degré de pureté qu'on puisse lui donner, il ne se consume plus et ne diminue plus jamais, quelque grand que puisse être le feu où on l'affine, parce qu'il ne se trouve plus alors aucun mélange de corps impurs et étrangers sur lesquels le feu puisse agir. Ainsi en est-il de l'âme qui se purifie dans le feu de l'amour divin. Dieu l'y retient jusqu'à ce que ce feu ait consumé en elle toute imperfection et lui ait communiqué le degré de perfection qu'il lui destine de toute éternité. Et quand Dieu, de degré en degré, a enfin élevé jusqu'à lui cette âme purifiée, elle demeure désormais impassible, parce qu'il n'y a plus rien en elle que le feu puisse consumer; et supposé que dans cet état de pureté parfaite elle fût encore retenue dans le feu, ce feu, loin de lui être pénible, serait plutôt un feu de divin Amour et comme la vie éternelle sans ombre de souffrances. (chap. X)

Les âmes du purgatoire ont une entière soumission à la volonté de Dieu : elles sont établies dans une telle conformité à sa justice et à ses ordres que, n'ayant ni choix, ni vue, ni volonté propre, elles ne choisissent, ne voient et ne veulent que ce qui plaît à Dieu. C'est pourquoi ces âmes reçoivent avec autant de joie les effets de sa justice que ceux de sa miséricorde. (chap. XIII)

Ce moyen dont Dieu se sert pour purifier les âmes qui sont dans le purgatoire est le même que j'éprouve en moi depuis deux ans, et je le sens tous les jours et le vois clairement de plus en plus. Mon âme est dans mon corps, comme dans un purgatoire semblable à celui que Dieu a ordonné pour des âmes...

Le seul retard de la vue et de la possession de Dieu paraît si pénible aux saintes âmes qu'il se forme en elles, par cela même, comme un feu qui les dévore.

Pour comprendre en quelque façon avec quelle ardeur les âmes qui sont dans le purgatoire désirent de voir Dieu, imaginons qu'il n'y ait dans le monde qu'un seul pain, et que ce pain ait la vertu d'apaiser par sa seule vue la faim de toutes les créatures. Si un homme en bonne santé, dévoré par la faim, savait qu'il n'y a que ce pain qui le puisse rassasier et s'il s'en voyait néanmoins privé, n'est-il pas vrai que sa faim augmenterait toujours, et lui deviendrait même d'autant plus intolérable qu'il approcherait de ce pain de plus près sans pouvoir y toucher ?... Les âmes du purgatoire ont cette faim ardente de se rassasier de ce pain céleste qui est Dieu même et notre doux Sauveur. (chap. VI)




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SAINTE THERESE D'AVILA (1515-1582)

Sainte Thérèse parle de trois religieux qui entrèrent au ciel tout de suite après leur mort sans passer par le purgatoire...

Du second, un Carme, elle raconte qu'assistant à la messe, plongée dans un profond recueillement, elle vit ce Père rendre l'esprit et monter au ciel sans entrer au purgatoire.

J'ai appris depuis, écrit-elle, qu'il était mort à l'heure même où j'avais eu cette vision. Je fus fort étonnée de ce qu'il n'avait pas passé par le purgatoire ; mais il me fut dit, qu'ayant été très fidèle observateur de sa Règle, il avait joui de la grâce accordée à l'Ordre par des bulles particulières touchant les peines du purgatoire. J'ignore à quelle fin cela me fut dit. Ce fut sans doute pour me faire comprendre que ce n'est pas l'habit qui fait le religieux, mais que pour jouir des biens d'un état aussi parfait, il faut en accomplir fidèlement tous les devoirs...

Parmi tant d'âmes dont le sort m'a été révélé, ajoute la sainte, je n'en ai vu que trois aller au ciel sans passer par le purgatoire...

In Saint Thérèse, Livre de sa Vie, chap. XXXVIII.


Don Bernardin de Mendoza, frère de l'évêque d'Avila, poussé par son amour pour la Sainte Vierge, offrit à sainte Thérèse une de ses maisons pour la fondation d'un couvent de Carmélites aux environs de Valladolid. L'offre fut acceptée. Or il arriva que deux mois après Don Bernardin fut pris d'un malaise subit qui lui enleva l'usage de la parole. Il ne put se confesser que par signes. Quelques jours après il expirait dans une localité fort éloignée de l'endroit où se trouvait alors sainte Thérèse.

Le divin Maître, ajoute la sainte, me dit : « Ma fille, son salut a été en grand danger, mais j'ai eu compassion de lui, et lui ai fait miséricorde en considérant le service qu'il a rendu à ma Mère en donnant cette maison pour y établir un monastère de son Ordre. Néanmoins il ne sortira du purgatoire qu'à la première messe qui sera dite dans ce nouveau couvent .»

A partir de ce jour, poursuit la sainte, les grandes souffrances de cette âme furent sans cesse présentes à mon esprit ; aussi malgré tout mon désir de la fondation de Tolède, j'y renonçai pour lors, et sans perdre un moment je travaillai de tout mon pouvoir à celle de Valladolid.

L'exécution de mon dessein ne put être aussi prompte que je le souhaitais ; je fus contrainte de m'arrêter durant quelques jours au monastère de Saint-Joseph d'Avila, dont j'étais prieure, et ensuite à Saint-Joseph de Medina del Campo, qui se trouvait sur mon chemin. Dans ce dernier monastère, Notre-Seigneur me dit un jour dans l'oraison : « Hâte-toi, car cette âme souffre beaucoup. » Dès ce jour, rien ne put me retenir. Quoique dépourvue de bien des choses nécessaires, je me mis en route et j'arrivai à Valladolid le jour de la fête de saint Laurent. Lorsque je vis la maison où nous devions habiter, j'éprouvai un sensible déplaisir : si le jardin était beau et agréable, la maison, située sur le bord de la rivière, était malsaine et il était impossible de la rendre habitable pour des religieuses à moins d'y faire de très grandes dépenses. Arrivant fatiguée du voyage, il fallut aller entendre la messe dans un monastère de notre Ordre situé à l'entrée de la ville ; c'était si loin que la longueur du chemin redoubla ma peine. Néanmoins, je n'en témoignai rien à mes compagnes, de peur de les décourager. Au milieu de ma faiblesse, ce que Notre-Seigneur m'avait dit me soutenait, et ma confiance en lui me faisait espérer qu'il remédierait à tout. A mon retour, j'envoyai secrètement chercher des ouvriers et, à l'aide de quelques cloisons que je leur fis élever, j'improvisai des cellules où nous pouvions être. recueillies. Un des deux religieux qui voulait embrasser la réforme et Julien d'Avila étaient avec nous. Le premier s'informait de notre manière de vivre ; le second s'occupait d'obtenir par écrit, du prélat, la permission de fonder ; car à mon arrivée il ne nous avait donné que de bonnes espérances. Cela ne put se faire de sitôt, et le dimanche étant venu avant que l'autorisation nous fût accordée, on nous permit seulement de faire dire la messe dans le lieu destiné à devenir l'église du monastère.

Le saint Sacrifice y fut donc offert. J'étais en ce moment fort éloignée de songer que la prédiction de Notre-Seigneur touchant ce gentilhomme dût s'accomplir alors ; j'étais au contraire persuadée que par ces paroles : « à la première messe », le divin Maître désignait celle où l'on mettrait le Très Saint-Sacrement dans notre église. Au moment de la communion, le prêtre s'avança vers nous, tenant le saint ciboire en main. J'approchai, et à l'instant même où il me donnait la sainte hostie, ce gentilhomme m'apparut avec un visage tout resplendissant, l'allégresse peinte sur ses traits et les mains jointes, il me remercia de ce que j'avais fait pour le tirer du purgatoire ; et je le vis ensuite monter au ciel.

Je l'avouerai : la première fois que j'entendis de la bouche du divin Maître qu'il était en voie de salut, j'étais loin d'une si consolante pensée ; je ressentais, au contraire, une peine très vive ; il me semblait qu'après la vie qu'il avait menée, il eût fallu un autre genre de mort. Si ses vertus et ses bonnes oeuvres me rassuraient, je ne laissais pas de craindre, parce qu'il était engagé dans les choses du monde. Voici néanmoins un fait qui est bien en sa faveur : il avait dit à mes compagnes qu'il songeait très sérieusement à la mort. Oh ! qu'un service, quel qu'il soit, rendu à la très Sainte Vierge est une grande chose ! Qui dira combien Notre-Seigneur l'agrée, et combien sa miséricorde est grande ! Qu'il soit béni et loué à jamais de ce qu'il imprime à la bassesse, au faible mérite de nos bonnes oeuvres, un tel caractère de grandeur, et de ce qu'il leur réserve pour salaire une vie et une gloire éternelle !

In Sainte Thérèse, Livre des Fondations.




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SAINTE VERONIQUE GIULIANI (1660-1727)

Avant de quitter Plaisance, la jeune Orsola, prenant tout son courage, avait dit à son père : « Maintenant que vous avez le temps, pensez à ce que doit faire un chrétien, faites une bonne confession. » Pendant que je lui disais cela, écrit Véronique, il changea de visage et me demanda : « Pourquoi me dites-vous cela ? » Je répondis : « Je me sens inspirée de vous le dire. » Je savais qu'il y avait longtemps qu'il ne s'était pas confessé. Je sus qu'il se confessa peu après.

Le pauvre Francesco Giuliani retomba ensuite dans ses faiblesses. « Il me semblait qu'on me disait mystérieusement que mon père était mort. Je cherchais à me distraire de ces pensées et à me résigner à la volonté de Dieu. Peu après, je vis mon père en songe. Il était très malade et dans son agonie se recommandait à mes prières. Je m'éveillai, mais je demeurai sous le coup d'une appréhension telle que j'eus comme la certitude que tout cela n'était pas un songe. La nuit suivante, je revis encore mon père : il était mourant, je le vis expirer. Je m'éveillai sous une poignante impression de douleur et je pleurai beaucoup. Mon coeur était gros de larmes, j'étais persuadée que je venais d'assister à la mort de mon père. J'avais reçu cependant, très peu de temps avant, une lettre où il me disait qu'il se portait bien. Mais après cette dernière nuit, je n'écoutais plus celles qui venaient pour me persuader que je me trompais et qu'il ne fallait pas croire aux rêves. Je cherchai à me distraire, mais je ne doutai pas de cette mort. Enfin, la nouvelle arriva. Il était vraiment mort à l'heure où je l'avais vu expirer. Mon chagrin fut extrême parce que je craignais pour son âme. Aussi je priai avec ardeur pour lui. Je vis alors une vision : un endroit horrible et plein d'épouvante et je compris que l'âme de mon père s'y trouvait. Jamais je ne pourrais exprimer ma douleur : je craignais que ce ne fût l'enfer ! Je demeurai longtemps dans cette peine cruelle. Je ne me souviens pas de lui avoir appliqué des suffrages. Je ne pouvais me mettre à rien, je ne voulais pas davantage dire la vision que j'avais eue, craignant que ce ne fût une vision diabolique. Mais cette même vision revint et je vis cette âme torturée d'une façon affreuse. Dans sa détresse, elle me criait : « C'est à toi d'obtenir cette grâce. » Je la vis souvent dans cet état et elle me disait qu'elle souffrait encore et qu'elle savait bien qu'elle était dans un lieu de salut. Je fis beaucoup de pénitences et de prières pour cette âme et je crus un jour entendre le Seigneur me dire : « Sois tranquille : pour telle fête, je délivrerai l'âme de ton père des tourments où elle se trouve. Si tu veux qu'il en soit ainsi, il faut que tu souffres beaucoup. » J'étais prête à tout souffrir pour obtenir cette grâce. Mes souffrances furent très grandes. Après la fête de sainte Claire, je crus voir l'âme de mon père, mais non dans le même lieu d'horreur. C'était encore le purgatoire, cependant. J'ai longtemps supplié le Seigneur de me donner la délivrance de cette âme. Bien des semaines après, j'eus cette révélation que je devais avoir beaucoup de regrets de n'avoir pas osé parler à mon père avec la liberté qu'il eût fallu. Je connaissais bien le lamentable état de sa conscience, et si je lui en avais dit quelque chose il se serait amendé. Je fis donc tous les jours mes oraisons pour cette âme et je la vis souffrir beaucoup. Je suppliai Dieu de toutes les forces de mon coeur de vouloir bien la délivrer de ses tourments. Je vis cette âme pendant la nuit de Noël. Un ange vint la prendre par la main et je vis mon père tel qu'il était pendant sa vie, mais revêtu de blanc. Il me salua et me remercia de ma charité. Aussitôt, i1 devint éclatant de lumière. Je ne le vis plus sous une forme humaine, il disparut avec l'ange. Le matin, après la communion, je revis encore cette âme toute belle et resplendissante. Elle me dit qu'elle n'avait pas été la seule délivrée du purgatoire, beaucoup d'autres avaient été délivrées aussi. Je les vis toutes, en grand nombre. La plume est incapable de décrire le bonheur que je ressentais. Je pense que Dieu m'a accordé cette grâce d'abord par les prières de la Sainte Vierge Marie, puis par celles de mes Soeurs.

Il me semble, dit-elle en décrivant la peine qu'elle avait à souffrir, il me semble que mon âme était dans un abandon complet, extérieur et intérieur, comme si Dieu m'avait dépouillée de tout et que plus jamais, en cette vie ni en l'autre, je ne participerais à aucun bien, que plus jamais je ne pourrais me recommander à la Sainte Vierge ni aux saints. C'est une douleur indescriptible et qui dura tout le temps que j'eus à passer dans ce lieu affreux. Il me semblait que ce temps ne finirait jamais et que toujours j'expierais. Nul ne venait à mon aide. J'étais seule et abandonnée. Une heure de ces souffrances, c'est une éternité. La douleur physique s'ajoutait à la douleur morale. Il me semblait qu'on me triturait les os, qu'on me travaillait les chairs, qu'on me jetait dans une fournaise, puis dans une glacière. Je tremblais de douleur. En même temps, on me rouait de coups avec toutes sortes d'instruments. Dans ces tourments, j'eus quelques communications avec Dieu : il me fit comprendre que les peines que je subissais étaient celles du purgatoire et qu'il me les faisait endurer pour libérer les âmes.

In Sainte Véronique Giuliani, Véronique en Purgatoire, Nlle Bibliothèque Franciscaine, Série XXI.




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SAINTE MARGUERITE-MARIE ALACOQUE (1647-1690)

Le 2 mai (1683), la bienheureuse annonçait à la Mère de Saumaize l'entrée au ciel de deux religieuses de la Visitation : « Vive Jésus ! ma bonne Mère, mon âme se sent pénétrée d'une si grande joie que j'ai peine à la contenir en moi-même. Permettez-moi que je la communique à votre coeur pour soulager le mien qui ne sort guère de celui de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce matin, dimanche du bon Pasteur, deux de mes bonnes amies souffrantes, à mon réveil, me sont venues dire adieu, que c'était le jour que le souverain Pasteur les recevait dans son Bercail éternel, avec plus d'un million d'autres, en la compagnie desquelles elles sont allées avec chants d'allégresse inexplicables. L'une est la bonne Mère de Monthaux, l'autre, ma Soeur Jeanne-Catherine, qui me répétait sans cesse ces paroles : « L'amour triomphe, l'amour jouit, l'amour en Dieu se réjouit ! » L'autre disait : « Bienheureux les morts qui meurent au Seigneur et les religieuses qui vivent et meurent dans l'exacte observance de leurs règles. » Elles veulent que je vous dise de leur part : « Que la mort peut bien séparer les amis mais non les désunir », ceci est de la bonne Mère, et l'autre : « Vous serez aussi bonne fille dans le ciel que vous avez été bonne mère sur la terre. » Si vous saviez combien mon âme est transportée de joie, car en leur parlant je les voyais peu à peu se noyer et s'abîmer dans la gloire, comme une personne qui se noie dans un vaste océan.

Un jour, elle priait devant le Saint-Sacrement ; soudain, devant elle se présente une personne tout en feu ; les flammes brûlent si ardentes qu'il lui semble qu'elle en est toute pénétrée. A cette vue, sous ces tortures dévorantes, ses larmes jaillissent, abondantes. L'âme qui lui apparaît est celle d'un religieux bénédictin de la Congrégation de Cluny. Prieur de Paray, il l'avait confessée une fois et lui avait ordonné de faire la sainte communion. Il lui demande aujourd'hui de lui appliquer pendant trois mois les mérites de toutes ses prières et de toutes ses souffrances. Il lui découvre alors les causes de son rude purgatoire : trop d'attache à sa réputation lui a fait préférer son propre intérêt à la gloire de Dieu ; il manqua de charité envers ses frères ; dans ses entretiens spirituels et dans ses rapports avec les créatures, il avait trop d'attache naturelle, et cela déplaisait beaucoup à Dieu. Pendant trois mois, il se tint près de sa victime volontaire, ne la quittant point, et, du côté où il se trouve, elle brûle comme tout en feu. La douleur très vive la fait pleurer continuellement. La supérieure, qui sait tout, qui a tout approuvé, touchée de compassion, lui ordonne des pénitences et des disciplines. Au bout de trois mois, le bénédictin lui apparaît, tout éclatant de gloire ; il monte au ciel ; après l'avoir remerciée, il l'assure qu'à son tour il la protégera.

In L. Hamon, Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie.

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